Archives d'octobre 98 sur la crise asiatique
janvier 98 | février 98 | mars 98 | avril 98 | mai 98 | juin 1998 | juillet 98 | août 98 | septembre98 | vue de l'Asie
TITRE
Le redressement de l'Asie sera plus long que prévu par le FMI " (La Tribune, 20/10/98)
  « La Tribune ». - Comment analysez-vous les tourments des marchés financiers ?
  Pierre Palasi. - La crise financière des douze derniers mois paraît aussi sévère dans son ampleur que les crises de 1974 et 1987. En Asie et  notamment au Japon, les cours de Bourse ont, en gros, été divisés par trois. En Europe et aux Etats-Unis, les baisses de 40 %, y compris  sur les valeurs comme Gillette ou Disney, sont courantes. Dans le secteur financier, les baisses étaient encore plus fortes jusqu'à la  semaine dernière. Aujourd'hui, les marchés prennent acte du fait que le Japon a échoué dans toutes ses tentatives de relance depuis huit  ans et que le redressement des autres pays d'Asie sera plus long que le FMI ne l'avait déclaré ou espéré. Ils ont enfin réalisé que la planète  ne peut pas tourner rond tant que les points précédents ne trouvent pas un début de solution.
  La baisse du dollar est-elle la bonne solution pour sortir de la crise ?
  Après avoir essayé diverses potions inefficaces, on est en train d'expérimenter aujourd'hui le remède plus brutal de la baisse du dollar,  dont la hausse avait été, en juillet 1997, un facteur déclenchant de la crise du baht thaïlandais. L'ennui est que la baisse du dollar a un effet  secondaire très indésirable sur la croissance européenne. Pour y voir clair sur le scénario de sortie de crise, il faut attendre de savoir  jusqu'à quel niveau le dollar doit baisser pour soulager, de manière significative, les pays malades sans trop fragiliser les économies  saines.
  Les Bourses mondiales peuvent-elles se reprendre sans assainissement économique durable en Asie ?
 Toute séquence de reprise des marchés qui laisserait le Japon et les pays émergents sur la touche serait malsaine et vouée à l'échec. La  prospérité de 90 % de la capitalisation boursière mondiale ne peut se perpétuer sur les malheurs des 10 % restants. Rappelons que, en  1990, la zone asiatique représentait 45 % de la capitalisation mondiale.
Les " hedge funds ", boucs émissaires commodes (La Tribune, 6/10/98)
  En témoignant devant la Cham-bre des représentants la semaine dernière, Alan Greenspan, le patron de la Réserve fédérale, a tenu à  remettre les pendules à l'heure. Et de stipuler que l'argent du contribuable américain n'a été ni sollicité ni utilisé dans le sauvetage du fonds  de spéculation Long Term Capital Management (LTCM). Il faut dire qu'on l'accuse déjà d'avoir secouru des spéculateurs coupables de  tous les maux sur la planète.
  Politiques et banquiers. Alan Greenspan a tenu à justifier ainsi les raisons de son action : « Les marchés financiers opèrent de manière  efficace seulement lorsque les participants peuvent s'engager sur des transactions avec un sentiment de confiance raisonnable que le  risque de non-paiement pourra être rationnellement évalué et compensé. » Et de préciser que ce processus de jugement est permanent sur  des marchés financiers efficaces. Sauf, en de « rares occasions », comme cela arrive aujourd'hui. « La peur, qu'elle soit irrationnelle ou  justifiée, saisit les participants et ils se dessaisissent sans discrimination des actifs financiers à risque en faveur de ceux qui offrent de la  liquidité et de la sécurité », souligne Alan Greenspan (il s'agit des bons du Trésor des pays industrialisés). 
  A ce moment précis, les actifs financiers, de bonne ou mauvaise qualité, sont déversés sur les marchés. « Si ces circonstances devaient se  généraliser et persister, elles seraient totalement incompatibles avec le fonctionnement d'économies sophistiquées supportées par des  investissements à long terme », poursuit le patron de la Réserve fédérale. Selon son analyse, la correction déjà sévère supportée par les  marchés financiers aurait pu se transformer en krach retentissant si les positions de LTCM avaient dû être liquidées rapidement.
  Depuis, les hedge funds sont la cible de toutes les attaques, pour l'endettement considérable que ces entités supportent pour spéculer  (l'effet de levier) et surtout pour l'opacité de leur gestion.
  C'est cependant passer commodément sous silence le rôle des politiques locaux, personnages essentiels de la crise, et leur influence  néfaste sur les économies (népotisme en Asie, mafia en Russie). Et que penser des banques commerciales et des banques d'affaires,  acteurs impliqués plus qu'aucun autre dans les flux de capitaux et les politiques monétaires. Ces banques, en prise directe avec les  politiques, le financement des déséquilibres budgétaires, les corruptions et les investissements « stupides » ont leur part de responsabilité  dans la crise. Une banque indonésienne, qui se finance auprès d'une banque occidentale, pou- vait-elle refuser de prêter de l'argent à un  fils ou un neveu du président Suharto ? Non, faute de perdre les autorisations nécessaires pour travailler. Et la banque occidentale qui  finançait cette banque indonésienne n'était-elle pas au courant de ses prêts risqués ? Bien sûr que si, puisque tout se sait dans la  communauté d'affaires restreinte de ces pays. Mais elle ne coupait pas les ponts, espérant se rattraper sur des affaires tout aussi juteuses  et théoriquement moins risquées. «Vous savez, ici, on ne peut pas vraiment demander de garantie, expliquait un banquier français en 1996.  Il faut connaître les groupes et avoir confiance. »
  Stratégies. Parfois, lorsque la confiance manquait, les banques transféraient le risque de leur bilan vers d'autres investisseurs, vers les  fameux « hedge funds ». Car il ne faut pas oublier que les stratégies spéculatives mises en oeuvre par ces fonds sont souvent imainées par  les banques. Elles perçoivent des commissions confortables sur l'exécution d'opérations qu'elles ont elles-mêmes suscitées. S'il faut  apporter réglementation et bon sens à ces pratiques, c'est d'abord du côté des banques qu'il faut se tourner.
Pour Kissinger, le FMI fait plus de bien que de mal (Herald Tribune par La Tribune, 6/10/98) 
« Ce qui a commencé il y a quinze mois comme une crise monétaire en Thaïlande et s'est répandu partout en Asie menace désormais le  monde industrialisé. Les programmes de sauvetage du Fonds monétaire international ont été incapables d'arrêter la contagion et menacent  même les institutions politiques qui les mettent en oeuvre », écrit Henry Kissinger, l'ancien secrétaire d'Etat américain. « Le capitalisme  demeure l'instrument le plus efficace pour promouvoir la croissanceéconomique et pour améliorer le niveau de vie de la population. Mais  tout comme le laisser-faire débridé du XIXe siècle a encouragé le marxisme, la mondialisation excessive des années 1990 peut générer un  rejet du concept même de la libre circulation des capitaux .[...] Les dirigeants politiques peuvent accepter un certain degré de sacrifices au  nom de la stabilité, mais ils ne peuvent survivre en se faisant les avocats d'une austérité quasi permanente, imposée de l'extérieur. Le FMI,  la principale organisaon internationale chargée de gérer les crises, ne fait qu'aggraver souvent l'instabilité politique. Forcé par la situation  d'assumer des fonctions qui ne correspondent pas à sa mission, le FMI n'a pas su juger les conséquences politiques de ses actes. » 
La reprise asiatique viendra des investissements privés mais l'aide publique doit jouer un rôle de catalyseur, a estimé le Comité de Développement, l'instance de conseil de la Banque Mondiale et du FMI. Cette institution a par ailleurs mis en place un nouveau prêt d'ajustement structurel d'urgence, pour répondre "aux problèmes immédiats". Ces prêts sur cinq ans portent toutefois "un taux d'intérêt très cher". (Les Echos, 6/10/98) 
La récession frappera au moins six pays asiatiques l'an prochain :
Tokyo se décide à aider massivement l'Asie ( La Tribune, 1/10/98) 
Le Japon est disposé à fournir à l'Asie du Sud-Est une aide de 30 milliards de dollars. 
L'Export-Import Bank of Japan offrira notamment des prêts garantis ou à taux zéro. 
Ala veille des réunions de Washington, le ministre japonais des Finances, Kiichi Miyazawa, a annoncé hier son intention de soumettre à  ses partenaires du G7 un plan d'assistance financière de 30 milliards de dollars en faveur de l'Asie du Sud-Est. Tout en souhaitant que  d'autres pays s'associent à cette initiative, Tokyo affirme enfin son leadership dans la zone, en se déclarant prêt à prendre en charge la  totalité de ce « paquet » financier. Les aides essentiellement destinées à la Thaïlande, la Malaisie, les Philippines, Singapour et l'Indonésie  prendront la forme de prêts garantis ou à taux zéro de l'Export-Import Bank of Japan, d'achats de bons du Trésor émis par les pays  concernés ou encore de prêts directs en yens ou en devises du gouvernement japonais. Il s'agit pour Tokyo de conjurer la contraction du  crédit qui frappe l'Asie en crise et de l'aider à restructurer son appareil productif.
Quelques réflexions sur la crise dite asiatique ( François Desbuissons *) ( La Tribune, 1/10/98) 
  La crise asiatique est devenue une crise des marchés émergents. Elle pourrait se transformer en crise financière internationale. Ses  récents développements rendent perplexes les analystes, en particulier ceux qui n'avaient rien vu venir il y a un an et qui prévoyaient, il y a  six mois encore, que tout serait transitoire. 
  Il ne s'agit en rien d'un regain de confiance en l'économie japonaise. Son explication principale tient au rapatriement par les institutions  financières nippones de capitaux dont elles ont besoin pour renflouer une situation domestique très dégradée (elles arrêtent leurs comptes  au 30 septembre). De plus, la crainte d'une dépréciation du dollar américain incite les fonds japonais à se couvrir contre un risque de  change qu'on voit grandir. En effet, beaucoup ont anticipé une poursuite de la baisse des taux d'intérêt par la Fed pour soutenir le cours  des actions à Wall Street, réductions qui pourraient provoquer une dévalorisation du billet vert. 
  Une baisse du dollar aurait pourtant un autre avantage pour la Fed : rendre les importations plus coûteuses à un moment ou le déficit  commercial américain se creuse dangereusement. Mais les Américains hésitent car ils perçoivent l'inconvénient majeur de ce scénario : un  glissement mal contrôlé créerait un sentiment de défiance vis-à-vis de tous les titres libellés en dollar. La baisse du billet vert se  transformerait alors en plongeon, incitant les épargnants à se dégager de tous les actifs américains, actions comprises. Le problème de  Wall Street reviendrait en boomerang. C'est sans doute le scénario qu'avait en tête Alan Greenspan en s'orientant vers une nouvelle baisse  limitée des taux. 
  Opérateurs incommodés. Il suscite des réactions contradictoires. Les opérateurs de marché sont incommodés par ces atteintes aux  principes du libre-échange mais, en même temps, certains sont soulagés de voir la situation stabilisée en Malaisie. L'intervention des  investisseurs institutionnels provoque parallèlement un rebond spectaculaire de cours des actions à Kuala Lumpur. En réalité, le problème  est le suivant : cette nouvelle politique malaise est bonne... pour la Malaisie - au moins à court terme -, mais mauvaise pour ses partenaires.   Il s'agit d'une solution non coopérative qui, si elle faisait tache d'huile, contribuerait à l'approfondissement de la crise. 
  En effet, le contrôle des changes très strict imposé en Malaisie, doublé d'une interdiction de revente des actions pour les non-résidents,  implique une mise sous surveillance de facto de l'ensemble du commerce extérieur du pays. Sinon, la sous-facturation par les groupes  malais des ventes à leurs filiales à l'étranger permettra les fuites de capitaux. De même, un déficit commercial, même faible, rendrait 
  insoutenable la parité dollar/ringgit retenue par le gouvernement de Kuala Lumpur dès lors qu'il sera impossible de trouver des prêteurs  étrangers pour financer ce déficit par des crédits à court terme. La solution malaise implique, en réalité, le retour à une forme atténuée de  nationalisation du commerce extérieur. 
  Premiers tentés. La première victime de ces mesures sera l'économie singapourienne qui agit largement comme prestataire de services  financiers pour la Malaisie et qui a fait de gros investissements dans la péninsule. Mais, surtout, le répit trouvé par les Malais peut servir  d'exemple aux pays touchés par les mêmes difficultés. Les premiers tentés seront sans doute les Indonésiens dont on ne voit pas comment  ils sortiront du marasme sans une mise sous tutelle complète de leur commerce extérieur. A terme, toute l'Asie du Sud-Est ainsi que  d'autres pays émergents pourraient être attirés par cet exemple. Le commerce intra-zone, élément le plus dynamique du commerce  international ces dix dernières années, en souffrirait inévitablement. 
  Les interventions multiformes de l'autorité monétaire hong-kongaise dans une ville autrefois réputée pour son ultralibéralisme choquent  moins les esprits parce qu'elles portent atteinte à l'orthodoxie que parce qu'elles se font au profit de « tycoons » proches du nouveau  pouvoir et enrichis par la spéculation immobilière. De toute façon, la « soutenabilité » de cette politique est de plus en plus douteuse. 
  Les problèmes du peg hong-kongais sont en effet renforcés par ceux du renminbi chinois. De nombreux exportateurs et importateurs  travaillant avec la Chine sont, en privé, d'accord pour constater que l'économie chinoise est en très forte décélération, bien plus que les  statistiques officielles ne le disent. Surtout, le mécanisme de défiance s'auto-entretient : craignant une proche dévaluation du renminbi, les  acheteurs étrangers suspendent leurs commandes aux fournisseurs chinois, espérant payer moins cher leurs produits une fois la  dévaluation effective. 
  Il est surprenant que les déclarations de Jiang Zemin, le 2 septembre dernier, laissant entendre que le gouvernement chinois ne se battrait  pas pour éviter l'inévitable, n'aient pas eu un plus grand retentissement. Il s'agit pourtant de l'aveu, en langage à peine codé, qu'une  dévaluation est acceptée dans son principe. Dans ces conditions, on voit mal comment les Hong-Kongais maintiendraient une parité  insoutenable, le coût d'opérations financières ou commerciales effectuées à Hong Kong devenant prohibitif en comparaison de celui des  mêmes opérations effectuées, par exemple, depuis Shanghai. 
  Premiers accrocs. Au total, on a le sentiment d'assister en ce moment à une « remontée » de l'infection initiale de la crise asiatique vers des  organes plus importants : système financier américain, marché chinois. On voit aussi les premiers accrocs au modèle néolibéral dont, il y a  peu, certains prévoyaient hâtivement le triomphe à l'échelle mondiale. La crise actuelle a ceci de redoutable qu'elle ne se présente pas,  comme celle des années 30, sous la forme d'une chute brutale des marchés suivie d'une lente convalescence. Il s'agit d'un phénomène  ponctué de rémissions qui font croire à la guérison et, du coup, brouillent le diagnostic. 

  * Pseudonyme d'un haut fonctionnaire en poste en Asie du Sud-Est. 

 Mise à jour :  octobre  998       Retour à la page d'accueil