A la recherche d'idées pour l'aménagement de Dijon, les responsables municipaux et régionaux concernés se sont consciemment tournés vers le Japon. Le choix de ce pays lointain n'est pas un hasard; il apparaît pour l'Occidental comme un gigantesque terrain d'études sur la mixité entre la ville, la banlieue et la campagne. Les nouveaux projets d'aménagement des villes y sont particulièrement ambitieux. De plus, la relation qu'entretient la société japonaise avec son environnement est profondément différente de la nôtre. La culture traditionnelle ne s'y est pas dissociée de son environnement et n'a pas tenté de le soumettre brutalement. Elle s'est positionnée comme sa partenaire alors que, par comparaison, la société occidentale moderne aurait plutôt penché vers une recherche constante de domination. De ce fait, en Occident, le sujet ultime devient la culture et l'environnement reste lui subordonné.
Les élus et fonctionnaires dijonnais poursuivent positivement ses programmes d'urbanisme mais, conscients que l'Agglomération a besoin de réencheantement en réaction à la technicité et modernité envahissantes, ils ont décidé de doter les quartiers de Pouilly d'un joyau de l'Orient, un jardin japonais.
Décision remarquable, car les jardins traditionnels, au Japon, sont comme on le sait, vraiment un art à part entière. Leurs auteurs peuvent être comparés aux poètes; la seule différence est qu'ils n'utilisent pas des mots mais des éléments qu'ils empruntent à la nature : les pierres, la mousse, l'eau, les arbres, les fleurs. Ces artistes jardiniers offrent à l'homme un environnement qui fait renaître, même en pleine zone urbanisée, la quiétude dans l'âme troublée et épuisée par l'agitation du monde.
En 1984, Dijon a été la première collectivité locale invitée, par l'intermédiaire des ministères des Affaires Etrangères ainsi que de l'Environnement à participer à un symposium sur les "aménités urbaines" organisé à Nagasaki sous l'égide de l'Agence japonaise de l'environnement. Cette initiative a permis aux participants dijonnais de recueillir sur place des données et des connaissances sur le thème des aménités urbaines et de l'aménagement des villes ainsi que de découvrir la beauté des jardins traditionnels japonais.
La poursuite de la coopération franco-japonaise sur ce thème des aménités urbaines s'est progressivement développéeà l'initiative des ministères concernés des deux pays sous l'impulsion du ministère français des Affaires Etrangères et, plus particulièrement, grâce à Rémi Perelman, à l'époque chargé de mission au sein de ce ministère. Cette coopération a été ponctuée de sept colloques franco-japonais itinérants organisés alternativement au Japon et en France selon un rythme annuel.
La ville de Dijon a participé activement à chacun de ces colloques. En 1986, une délégation du District de l'Agglomération Dijonnaise (D. A. D.) composée de trois élus et de deux fonctionnaires s'est rendu au Japon essentiellement pour renforcer les liens qui s'étaient établis avec la mairie de Koshigaya. M. Bazin, à l'époque Maire-adjoint de Dijon et premier Vice-président du Conseil Régional de Bourgogne, demandait à la ville de Koshigaya d'apporter son concours à celle de Dijon pour y réaliser un jardin de style japonais. En retour, M. Lombard, Président du D. A. D., premier Vice-président du Conseil Général de la Côte d'Or, proposait que l'Agence d'urbanisme du District conçoive un jardin à la française pour Koshigaya. Proposition acceptée par son maire, M. Shimamura. C'était le départ d'une collaboration durable.
Depuis, les échanges de spécialistes et de fonctionnaires territoriaux se sont succédés. Le projet du jardin japonais pour Dijon, conçu à Koshigaya a ensuite été adapté par le Service des Espaces verts à la situation spécifique du site du quartier de Pouilly.
A l'heure actuelle, les travaux de terrassement sont déjà terminés ainsi que l'infrastructure. Cependant ces jours-ci, les travaux ne progressaient guère à cause de difficultés financières que subit la municipalité dijonnaise, ce qui introduit une légère dissonnance dans la bonne entente Dijon-Koshigaya.
Koshigaya craint que les dispositions budgétaires de Dijon se traduisent par un amoindrissement de la qualité esthétique du jardin. Le manque de "bonnes pierres" donne du souci aux experts de Koshigaya.
Depuis toujours, au Japon, on accorde une haute valeur à la beauté de la pierre à l'état brut. Depuis les temps les plus anciens des pierres furent intégrées dans la composition des jardins pour leur effet tactile, scénique ou symbolique. Ces pierres doivent correspondre aux canons de l'art des jardins. Les plus utilisées sont les granites de couleur grise ou vert foncé, de préférence pour leurs formes arrondies et leurs coloris discrets. Peuvent aussi être utilisés les schistes aux coloris bleu-vert.
Le choix de ces pierres ou rochers que les Japonais ont prévus dans leurs projets pose un grand problème aux réalisateurs dijonnais. Car pour les trouver il faut aller loin, jusque dans les Pyrénées. Le coût élevé de l'extraction et leur transport sur plusieurs centaines de kilomètres, leur poids, leur taille nécessitent des moyens de transport et de levage mécanisés importants, ce que ni la ville de Dijon, ni le D. A. D ne peuvent se permettre en ce moment en raison du coût élevé et du budget restreint.
Les calcaires de couleurs claires qu'on trouve facilement dans le Massif Central tout proche n'obtiennent pas l'approbation des experts ou conseillers de Koshigaya. Ceux-ci sont formels : les calcaires ne doivent pas être utilisés dans les jardins de haut niveau esthétique, d'autant plus que M. Shimamura, Maire de Koshigaya, s'est donné pour but de créer un beau jardin, "le plus beau jardin d'Europe", dit-il.
Dans le shintoïsme, seule religion authentiquement japonaise, les pierres ou les rochers sont considérés comme siège des divinités de la nature. De ce fait, on attribue une conscience aux pierres elles-mêmes. L'Occident rationnel éprouve les plus grandes difficultés à concevoir que cet état d'esprit puisse encore guider le raisonnement des interlocuteurs japonais, même inconsciemment. On a là une semence d'incompréhension que les obstacles indépendants de ce sujet vont faire fleurir.
Dans la culture orientale, composer un jardin c'est organiser un rêve, harmoniser ses passions avec le monde. L'esthétique du jardin japonais réside dans la recherche de l'émotion et la plus forte impression de beauté d'un jardin vient de ses pierres, de ses végétaux et du charme de l'eau courante ou dormante. L'harmonie du paysage est obtenue grâce à la mise en rapport de ces trois éléments.
Atteindre cet équilibre esthétique dans le jardin dijonnais, ne mérite-t-il pas l'effort d'aller chercher les pierres indispensables, même dans les Pyrénées. Ce serait un pas supplémentaire pour réenchanter le jardin, pour réenchanter les quartiers de Pouilly, pour réenchanter Dijon. Encore faudrait-il que la valeur de l'échange des cultures soit bien perçue par la population de Dijon et appréciée par ses visiteurs.
André Andjey Gruszewski