La cuisine birmane
par Catherine Bourzat,
consultant dans le  domaine asiatique, auteur de nombreux articles sur l'Asie, diplômée de l'Ecole du Louvre, titulaire d'une maîtrise d'archéologie et d'une maîtrise de chinois, Catherine Bourzat sillonne depuis 10 ans les routes d'Asie. Passionnée par la Chine et séduite par l'Inde, l'auteur a trouvé en Birmanie le pays où fusionnaient ces deux cultures millénaires et souvent antagonistes. Les premiers voyages furent entrepris par goût de l'étude. Une cheville foulée à Pagan, un orteil cassé sur un bateau de ligne de l'Irrawaddy, une fièvre maligne et nocturne contractée à Rangoon n'ont rien changé au cours des choses : la Birmanie est devenue passion et ce guide est le fruit des rencontres au fil de cette histoire d'amour.
La cuisine birmane paraît simple dans sa composition : un ragoût, accompagné de riz, d’une soupe et d’une salade, constitue un menu de base dans un foyer birman ou au restaurant. Sa diversité repose sur la gamme très riche des produits de base, le jeu des condiments et des épices et l’indispensable tour de main de la cuisinière. Les saveurs birmanes sont totalement inédites (il est impossible de trouver un restaurant birman en dehors de Londres) et ses préparations très élaborées ; il n’est pas rare qu’une mère de famille passe 6 à 7 heures par jour à ses fourneaux. 
Le riz
Comme dans toute la péninsule sud-est asiatique, le riz est à la base de l’alimentation. Il est consommé en grandes quantités lors des repas. On le cuit généralement à l’eau (htamin), parfois au lait de coco (oun-htamin), ou bien il est frit (htamin gyaw). Il en existe plusieurs qualités, mais aussi plusieurs variétés qui fournissent des spécialités savoureuses. Le riz glutineux, kauk hnyin, est apprécié comme en-cas, neutre ou sucré : on le trouve cuit à la vapeur (kauk hnyin baun), dans la moelle de bambou (kauk hnyin kyi tawk), ou aromatisé à la banane et plié dans une feuille de bananier. La variété noire (kauk hnyin paung) est un délice, servi saupoudré de poudre de sésame grillé et de noix de coco râpée. Le htomot, un gâteau de riz cuit à l’huile de coco et farci de noix de cajou, est une gourmandise de Mandalay. Sur le plateau shan, on prépare du riz fermenté à l’amidon, coloré de turmeric, au goût de saké japonais (shan htamin gyin). 
Le poisson
Un poisson entier est un plat de fête, mais il reste omniprésent sous la forme de ses dérivés : les saumures, ou ngapi. Aussi indispensable que le nuoc mam à la cuisine vietnamienne, c’est une saumure de poissons ou de crevettes, qui se présente sous forme de pâte ou de liquide (nganpyaye). Le ngapi est rarement consommé pur. Pour accompagner nouilles ou salades, on le mélange à des pousses d’oignons hachées, du piment frais, des crevettes séchées concassées, du piment frais et un filet de citron. Ngapi désigne aussi le poisson salé et séché, entier ou en morceaux, que l’on consomme rôti ou frit ; c’est un cadeau de prix très apprécié. 
Les pois
Les cultures de la zone sèche de Haute Birmanie ont instauré le règne des légumineuses (pè), dont il existe 22 variétés : pois chiches, pois cassés, lentilles roses, lingots, dolics, etc., cuisinés sous toutes les formes. En farine, ils épaississent soupes et ragoûts. Bouillis avec des épices, parfumés de coriandre fraîche, ils forment une soupe épaisse, le pè lun hingyo. Trempés et caillés, ils donnent le touhu, variante birmane du doufu chinois et bien moins fade, que l’on mange frit en petits dés, en flan relevé de jus de tamarin, poudre de piment, coriandre et ngapi (touhu thout), en crème sur un plat de nouilles accompagné de bouillon (touhu nwe). Le ponyegyi, pâte de haricots fermentée, spécialité de la région de Pagan, remplace parfois le ngapi. 
Au restaurant : ragoûts et satellites
Tout restaurant birman qui se respecte doit proposer un choix de plats du jour : des ragoûts (hin, ou curries) de viandes, de légumes ou de poissons, tout ça baignant sous une épaisse nappe d’huile… qu’il n’est pas question de saucer ! Signe de richesse, l’huile est dispensée généreusement et le jeu consiste à y pêcher les morceaux. Pas d’inquiétude sur l’état du poisson si vous êtes loin de la mer : la Birmanie dispose toujours d’une importante faune d’eau douce. Autant d’occasions de découvertes : nga than, poisson-chat adipeux (butterfish en anglais), nga byei ma, la perche grimpante, nga hpyin thalet, le gourami ou nga tha lau, l’alose. En commandant un ou plusieurs curies, vous verrez arriver riz à volonté, soupe claire et tohzaya. Le tout compris. Le tohzaya, assortiment de tomates, oignons, mangues vertes, concombres ou de pousses de bambou plongés dans le nganpyaye, est le seul mets consommé cru en Birmanie. 
Attention, les restaurants birmans fonctionnent à la mode birmane, au rythme du soleil. Le dernier repas se prend vers 17 ou 18 heures et les établissements ferment de bonne heure : déjeunez birman, mais dînez chinois ou indien, si vous souhaitez manger plus tard. 
Des goûts et des couleurs
Comme toutes les cuisines asiatiques, le repas birman combine les saveurs, avec des tendances dominantes dans les cuisines régionales : les curries arakanais sont très relevés, la cuisine shan joue le parfum du sésame. Partout on aime les saveurs affirmées de la pousse d’oignon, des perles d’ail ou du rhizome de gingembre et les notes acidulées. Celles-ci reviennent dans les soupes claires aux feuilles de tamarin (magyi ywet hingyo) ou au chinbaung, le chanvre de Bombay (une plante de la famille des hibiscus, aux jolies fleurs rouges, dont le goût rappelle l’oseille). L’acidulé est présent aussi dans les marinades fermentées en présence d’amidon de riz : feuilles de moutarde, kyan ma hsain, pousses de bambou, hmyi, ou mangues vertes. 
Une couleur domine les ragoûts, les soupes ou le riz sauté. Du jaune d’or à l’orangé, elle est due au curcuma. Appelée safran indien, ou turmeric, c’est une poudre obtenue à partir d’un rhizome séché.
Les échoppes de nouilles
Contrairement aux restaurants, les échoppes de nouilles sont spécialisées dans un plat, souvent très nourrissant. À base de nouilles, de riz ou de blé, ou de vermicelles, ces plats, en dehors des échoppes spécialisées, ne sont préparés à la maison qu’à l’occasion des fêtes. Le plus répandu, qui a valeur de petit-déjeuner national, est la mohinga : une assiette de pâtes de riz arrosée d’une subtile bouillabaisse de poissons. Selon les régions et les occasions, on pourra goûter aussi le myi shai, des nouilles de riz servies avec de la viande sautée aux épices et un bouillon léger à part, les nouilles « trempées » à la mode shan, le mondi de Mandalay — une poignée de pâtes fraîches, épaissies à la farine de pois et arrosées de bouillon, le mone-ti à l’arakanaise, variante de la mohinga, ou encore le très nourrissant ounno-khauksway, servi avec une soupe enrichie au lait de coco. Dès l’aube, les marchandes de nouilles font bouillir leurs marmites. On se serre sur des bancs, face à la table, tandis qu’elles orchestrent les commandes : une poignée de nouilles dans une assiette creuse, une louche généreuse de la préparation dont elles gardent le secret. Puis, c’est le ballet des condiments : elles plongent la main dans des petits pots de verre — une pincée de glutamate, un nuage de poudre de crevettes, une petite cuillère de piment, un zeste de citron, un hachis de coriandre fraîche, couronné d’ail ou oignon grillé ; enfin, quelques gouttes de vinaigre, tamarin ou nganpyaye. Et le bol est poussé devant vous. 
Du thé à boire et à manger
Dans le moindre village, il y a une échoppe où l’on peut boire à satiété, assis sur des tabourets de poupée, le thé d’une Thermos, régulièrement réapprovisionnée en eau chaude. Ce thé-là, la-hpet gyan ou yei-nwei gyan, est du thé vert, cultivé sur le plateau shan ou importé de Chine, dont le goût est plus ou moins prononcé, mais qui désaltère à toute heure. Il est délicieux accompagné de bonbons au sucre de palme ou, version salée, en grignotant des feuilles de thé. La Birmanie est le seul pays d’Asie où le thé se mange. C’est le la-hpet thout : les feuilles sont macérées dans du jus de citron ou de pamplemousse, assaisonnées d’huile de sésame et accompagnées d’un tas de petits trucs qui croquent sous la dent : pois, ail, sésame et cacahouètes grillés, crevettes séchées, petits poissons salés. On le sert volontiers à la fin d’un bon repas pour ses vertus digestives. 
Alcools birmans
Les buveurs d’alcool, nombreux malgré les prescriptions du bouddhisme, sont aussi de grands amateurs de la-hpet thout et autres amuse-gueules, comme de minuscules beignets de cristophines. Ils pourront accompagner un rhum de Mandalay (qui n’a de rhum que le nom et n’est buvable que frappé, avec du citron vert) ou, pour qui en a les moyens, un de ces excellents whiskies, estampés de l’étiquette « Singapore duty free » que l’on trouve sans difficulté en ville. À goûter l’été : le vin de palme (toddy), produit à partir de la sève du Borassus flabellifer (nombreuses plantations au sud de Pagan). La sève est collectée dans des pots de terre où l’on met une petite quantité de chaux pour diminuer la fermentation. On peut boire le liquide juste après la collecte, il est alors rafraîchissant, doux et non alcoolisé, ou après l’avoir laissé fermenter quelques heures, ce qui donne un vin léger. 
Cuisinez birman
Ingrédients
Disposez sur une étagère piment en poudre, curcuma, pois frits et farine de pois, crevettes séchées, gingembre, ail, oignons, ngapi et nganpyaye (que vous pouvez remplacer par de la pâte de crevettes thaïe — kapi, — et du nuoc mam), huile d’arachide pour la cuisson et huile de sésame pour l’assaisonnement : vous êtes paré à cuisiner un menu birman. Quant aux proportions… laissez vous guider par vos papilles. 
Salade
Une délicieuse salade à base de chair de poulet rôti ou de dorade grillée au barbecue, assaisonnée de nganpyaye, jus de citron vert, pousses d’oignons, ail et oignons frits, farine de pois et crevettes séchées. 
Soupe
Vous pouvez agrémenter une soupe claire acidulée en faisant rissoler ail et oignon écrasés, pâte de crevettes, curcuma et crevettes séchées. Salez puis faites-y tomber une botte d’oseille. Lorsque le mélange est cuit, mouillez d’eau et laissez chauffer à petits bouillons. 
Ragoût
Le secret pour démarrer un ragoût de viande ou de poisson : faites chauffer dans l’huile un mélange d’ail, oignons et gingembre écrasés, saupoudrez de turmeric pour colorer, ajoutez piment et sel selon votre goût. Lorsque tout est doré et qu’une bonne odeur chatouille vos narines, jetez la viande en morceaux et faites sauter à feu vif jusqu’à coloration. Mouillez d’eau ou de bouillon et laissez mijoter. 
Cuisine de fête : la mohinga
Faites pocher 20 minutes 1 kg de poisson à chair blanche, mais pas trop ferme, dans un court bouillon d’eau, parfumée de 2 cuillères à soupe de nuoc mam, 2 ou 3 lamelles de gingembre frais et 2 branches de citronnelle pliées et cassées. Laissez refroidir. Retirez les arêtes et écrasez-les dans un torchon : vous obtiendrez un jus que vous ajouterez au court bouillon. Faites chauffer, dans une tasse à café d’huile d’arachide, une poignée d’ail écrasé avec 2 cm de gingembre. Saisissez rapidement la chair de poisson dans ce mélange puis retirez-la et réservez. Assaisonnez de sel, de turmeric et de poudre de piment selon votre goût, ajoutez 1 livre de pois chiches bouillis et écrasés. Mouillez avec le court-bouillon, allongé d’eau si nécessaire. Jetez dans la soupe une douzaine d’oignons grelots simplement épluchés et la chair de poisson effeuillée. Laissez mijoter 1 h à 1 h 30. Pour servir, disposez des nouilles de riz dans des assiettes creuses. Arrosez d’une louche de soupe de poisson. Ajoutez un filet de citron vert, du piment en poudre, des cacahouètes pilées et de la coriandre fraîche. 
Cuisine de fête : ounno-khauksway (nouilles au lait de coco)
Faites bouillir un demi-poulet coupé en 4 avec sel, poivre, gingembre, citronnelle et 3 cuillères à soupe de nuoc mam. Réservez le bouillon et désossez le poulet. Faites chauffer une tasse à café d’huile d’arachide avec deux oignons en lamelles, 1 poignée d’ail écrasée, du turmeric et de la poudre de piment. Ajoutez les morceaux de poulet. Délayez du lait de coco (préparé avec deux noix râpée et pressée et 1 cuillère à café de sucre) dans un peu de bouillon. Mouillez la viande avec son bouillon, puis le lait de coco. Pour adoucir la préparation, vous pouvez ajouter 2 cuillères à soupe de lait concentré. Servez la soupe sur des nouilles de blé placées dans des assiettes creuses. Disposez des quartiers d’œufs et saupoudrez de coriandre hachée.