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Progressivement l'Asie des affaires commence à se départir de son ancienne culture, de type patriarcale avec ses 'tycoons' (du japonais 'grand seigneur') et confucéenne, pour se tourner vers celle qui prévaut…à "l'ouest" (Amérique du nord et Grande-Bretagne). 1- Le saut de générations : beaucoup parmi les tycoons asiatiques sont proches de la retraite et leurs empires sont en passe d'être repris par leurs fils (parfois même par leurs filles) formés dans des universités occidentales bien différentes du 'rideau de bambou', ce réseau de relations construit par des générations de chinois de la diaspora : les changements seront profonds. À Hyundai, l'un des plus grands chaebols coréens, la bataille de succession entre deux des fils du fondateur (de 84 ans) s'est terminée récemment d'une façon non confucéenne quand le patriarche a choisi le plus jeune pour lui succéder. Dans sa première conférence de presse le nouveau président a annoncé qu'il attribuerait la moitié des sièges du conseil d'administration à des directeurs venus de l'extérieur et que cette instance et non le 'top management' déciderait. D'autres compagnies asiatiques devraient également subir des changements radicaux en passant aux mains des nouvelles générations formées aux idées occidentales. Li Ka Shing peut avoir débuté comme un pauvre immigrant de Chine vendant sa camelote en plastique (fleurs et peignes), ses fils 'Victor et Richard' ont fait leurs études à Stanford et sont à l'aise avec les concepts occidentaux de la nouvelle économie et de la finance. De même, lorsque Kwok Tak-Seng, le fondateur à Hongkong d'une des plus grandes sociétés immobilières mondiales est décédé (en 1990) ses fils, Walter, Thomas et Raymond, occidentalisés bien au delà de leurs prénoms puisque formés à Londres et à Harvard lui ont succédé. À Taiwan, l'héritier du groupe 'Koo', conglomérat allant de la banque au ciment, à complété sa formation à la 'Wharton Business School'. Mais en Asie la transition peut parfois être désastreuse
comme dans le cas de Aw Boon Haw, "le gentil tigre de Birmanie"
qui transforma le 'baume du tigre', vieil onguent à base de camphre
et de menthol, en une des marques les plus connues d'Asie et un empire
de presse. Après sa mort (en 1954) les héritiers se sont
querellés et une fille adoptive en a pris le contrôle. Aujourd'hui
l'empire Aw est en lambeaux.
2- Le besoin de liquidités : la crise financière de ces dernières années a dévasté non seulement le bilan des sociétés asiatiques mais aussi leurs banques. Pour se recapitaliser ces sociétés ont dû faire appel aux investisseurs institutionnels occidentaux (principalement Anglo-américains) ce qui les a rendu dépendantes non seulement de ces capitaux mais encore de la prise en compte des actionnaires. L'empire Lippo en Indonésie en est un exemple : bâti par Lee Mo Tie un homme d'affaire chinois d'outre-mer * qui commença par vendre des montres et des batik puis s'intéressa à presque tout, de la télévision par câble aux services financiers, des magasins de détails aux centrales électriques. À l'instar de la plupart des conglomérats indonésiens Lippo a énormément souffert de la crise de 1997. Les enfants du patriarche ont cherché à faire mentir le proverbe chinois selon lequel : 'la première génération fait de l'argent, la deuxième le dépense et la troisième le perd'. Ils ont donc invité un grand assureur américain rigoureusement géré ('AIG') ainsi qu'un groupe financier hollandais ('ING') à devenir les partenaires de Lippo, ce qui a abouti à nommer un australien comme directeur de la Banque Lippo, premier étranger à occuper un tel poste en Indonésie. *il prit plus tard la nationalité indonésienne sous le nom de Mochtar Riady 3- La maturation des systèmes légaux, financiers et de régulations en Asie (c'est à dire l'adoption de normes occidentales). La récente régulation des marchés asiatiques défavorise le réseau de chinois de la diaspora qui fut à la base de leurs réussites économiques : c'est tout un monde qui s'efface, celui qui a porté les patriarches asiatiques à la tête d'empires ou même de petits fiefs. Autrefois rappelle V. Fung (membre de l'élite des affaires
de Hongkong) les gens ne faisaient affaire qu'avec ceux dont les ancêtres
étaient originaires du même village qu'eux (de la Province
du Fujian ou du Guandong) : "du temps de mon père tout se concluait
par une poignée de main; de nos jours ont évolue vers des
arrangements contractuels". Les contrats ne sont pas encore aussi contraignants
qu'en Occident et dans des marchés moins avancés comme en
Indonésie M. Fung continue à s'adresser au réseau
de bambou pour obtenir des informations sur d'éventuels partenaires.
Néanmoins ce réseau évolue graduellement et les liens
qui le tissent tendent vers ceux qui unissent les ex-membres d'une ligue
sportive d'université américaine (ou de "Oxbridge"…).
4- La nouveauté : bien que les anciens 'tycoons' aient bâti leurs empires en se diversifiant dans de nouvelles industries leur perception de la 'Net-économie' est plus proche de la menace que d'une opportunité Le succès des tycoons provenaient en grande partie de l'inefficacité
des marchés sur lesquels ils travaillaient. Ce qui constituait un
avantage certain pour l'information privilégiée que ces tycoons
glanaient dans leur réseau de chinois d'outre-mer entre acheteurs
et vendeurs. Réseau dont l'utilité reposait en fait sur un
défaut d'information (et de communication) nécessitant des
relations personnelles, des 'tuyaux'. En rendant l'information accessible
le net réduit l'importance des intermédiaires informés
et par là même la valeur du 'réseau de bambou'. Le
fils Kuok par exemple, peut très bien réussir à
mettre le commerce de sucre familial en ligne, l'information entre acheteurs
et vendeurs sera accessible à tous ceux qui se connecteront sur
le site. Et il n'y a pas de moyen d'interdire aux nouveaux entrants de
construire des portails concurrents.
Bien évidemment la connaissance de l'occident ne signifie pas que l'on en est imprégné : "les techniques sont modernes mais la culture est toujours confucéenne", dit M. Fung. Cela aussi est en train de changer. À son retour en Asie après une carrière de professeur d'économie à la 'Harvard Business School' il s'est senti obligé d'oublier 'toutes ces choses sur la valeur de part et l'administration des affaires'; de nos jours, le même déclare que ce qu'il a appris à Harvard est applicable ! Pour le moment l'Asie a quelques années de retard sur l'Amérique et l'Europe dans sa transition vers le 'e-commerce'. Mais l'exploitation d'Internet risque d'être un des facteurs les plus efficaces de la disparition des pratiques 'confucéennes' de management. En effet, - il mine l'ancien modèle de management fondé sur le réseau de chinois dans le monde et sur l'information privilégiée;
Un exemple particulièrement significatif de cette transformation concerne le fils de Li Ka-Shing ('Richard'): peu de personnes doutent qu'il aie profité par le passé des relations de son père. Le premier véritable actif de sa société Internet ( 'Pacific Century Cyberworks') a été un contrat gouvernemental pour un complexe de bureaux câblés à Hongkong, attribué sans appel d'offres aux autres sociétés de construction; de même sa proposition pour 'Cable & Wireless' a visiblement bénéficié de liens politiques. Pourtant, 'Richard' peut être considéré comme un patron moderne : il projette d'augmenter la valeur des actions, il révèle plus que ce qui est légalement exigé et il traite avec ses partenaires occidentaux dans leurs termes. Comme le dit le patron de 'China.com' : "il n'y a pas de raison pour que les société asiatiques ne puissent être dirigées à la façon de Jack Welch" (de 'General Electric'). Avec la disparition de l'ancien système il est vraisemblable que les héritiers des tycoons asiatiques deviendront progressivement des dirigeants modernes à coté d'entrepreneurs d'un autre age et feront mentir le proverbe de leurs ancêtres (vide supra) : il n'y aura plus de tycoons à l'ancienne mais des 'bosses' dirigeant leurs sociétés à l'occidentale. Les cabinets d'audit viendront annuellement ou même trimestriellement certifier les rapports d'activités et seront (enfin) pris au sérieux. Les investisseurs et les analystes auront accès aux dirigeants qui seront issus aussi bien des milieux professionnels internationaux que de la famille des fondateurs et seront recrutés - ou licenciés - par des conseils d'administration indépendants…Bref, les actionnaires minoritaires auront de moins en moins de raisons d'être frustrés lors de prochaines assemblées générales… (B. M.)
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