(traduction libre, Bernard Mély /Asie 21, 30 / 06 /98)
La vraie question concernant la crise asiatique est de savoir si et à quelle vitesse les économies asiatiques rebondiront ? Sommes nous en train d'observer un recul temporaire ou est ce la fin du miracle ?
Y a t- il seulement eu un "miracle" ?
Revenons à la publication de cet article dans "Foreign Affairs 1994" qui m'a valut des ennemis dans toute l'Asie. Cet article résumait les travaux de Alwyn Young de l'Université de Boston et Larry Lau de Stanford suggérant que la croissance asiatique, toute impressionnante qu'elle était, s'interprétait simplement à l'aide des variables économiques les plus classiques à savoir : degrés d'épargne élevés, bons niveaux d'éducation et migrations de ruraux vers le secteur manufacturier. Une fois pris en compte la croissance de ces "entrants" quantitatifs, mesurables ("input"), on pouvait expliquer la plupart sinon toutes les croissances observées ("output"). Autrement dit Young et Lau montraient que la croissance asiatique avait été essentiellement de la "transpiration" plutôt que de "l'inspiration"; ou encore provenait d'un "plus" de travail et pas d'un "mieux". Résultats contradictoires difficiles à accepter pour beaucoup bien qu'ils soient vérifiables et aient résisté aux nombreuses tentatives de 'falsification'.
Quel est l'enjeu de ce débat ? Personne ne remet en question la réalité de la fabuleuse croissance asiatique des vingt dernières années, mais cette interprétation de la croissance par la "transpiration" remet en cause deux dogmes chers aux leaders asiatiques et à leurs admirateurs, pour deux raisons principales :
Aujourd'hui l'Asie a des problèmes et les marchés de capitaux internationaux ont soudainement remarqué que les pays de la région avaient accumulé des déficits commerciaux de niveau mondial, bien plus importants relativement à leurs économies que le Mexique avant son effondrement.
Est ce cela que prévoyait la théorie de la transpiration ? Non, cette théorie prévoyait un ralentissement progressif pas un "crash" ! L'année précédent ce crash il était clair que la croissance économique "torride" que connaissaient la Corée et la Thaïlande devait s'arrêter : les salaires augmentaient plus vite que la productivité, les marchés intérieurs surchauffés gonflaient les importations causant d'importants déficits commerciaux …
En fait, l'enseignement le plus important de la crise asiatique n'est pas d'ordre économique ; il est d'ordre politique. Lorsque les économies d'Asie ne délivraient que des bonnes nouvelles il était possible de se convaincre que les soi-disant planificateurs savaient ce qu'ils faisaient. Maintenant on a vu .. qu'ils n'en savaient rien ! Même durant les beaux jours, une visite à l'une de ces agences de planification – comme par exemple le tout puissant Ministère des Finances du Japon – suffisait à inspirer des doutes quant à leurs capacités. Il est facile d'avoir l'air compétent dans une économie florissante (demandez à Bill Clinton !) mais l'important est de savoir faire face à l'adversité.
Les responsables des pays d'Asie se ressemblent : nous savons maintenant que les problèmes financiers de Corée et de Thaïlande étaient évidents depuis longtemps pour les analystes; pourtant les gouvernements ont temporisé, comme au Japon. Quand la catastrophe est arrivée en Thaïlande les responsables ont tergiversé de la façon la plus classique jurant qu'ils ne dévalueraient pas mais, incapables de prendre la moindre mesure politique pour soutenir le baht, ils firent exactement le contraire de ce qu'ils avaient dit. Et ainsi de suite; la Malaisie n'a pas encore subi de catastrophe mais ses mesures politiques – depuis des plans grandioses d'une nouvelle capitale aux tentatives d'effacer son déficit commerciale en restreignant les importations – ressemblent à celles qui ont mis fin au miracle économique du Brésil dans les années 60. Quant à l'Indonésie sa conception d'une stratégie industrielle à long terme consiste à promouvoir une industrie automobile inefficace à coups de taxes et d'entorses aux régulations du marché.
Sans doute la croissance repartira en Asie, mue par l'éducation,
l'épargne et l'accroissement de la force de travail mais pas aussi
fortement qu'avant, certains pays ayant déjà poussé
aussi loin que possible ces gains de productivité. Il y a encore
de nombreux paysans en Chine qui attendent d'entrer dans le monde moderne
et il y a certainement d'autres endroits où ce processus n'a même
pas commencé. Il ne fait pas de doute que l'Asie reprendra sa part
du produit mondial brut … mais seulement parce qu'après tout c'est
en Asie que se trouve la plus grande partie de l'humanité !
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