I
- La marmite bout; les faiblesses du couvercle
A. Brûlantes infrastructures
- Démographie. La croissance de la population est mal maîtrisée;
elle l'est beaucoup plus mal sur le terrain que sur le papier.
- Géographie. Le manque de terres arables (par tête d'habitant)
s'est encore aggravé, sous le double effet de la spéculation
immobilière et d'une destruction "sauvage" de l'environnement (caractère
révélateur, à cet égard, de la tragédie
des inondations de l'été 1998).
- Economie. Chute de la croissance liée à la chute des
exportations, à la chute des investissements étrangers, à
un excès de retour au centralisme qui pénalise l'économie
des provinces les plus dynamiques, aux maladresses des opérations
d'assainissement du système bancaire. Sans être abandonnée,
la réforme des entreprises d'Etat est freinée, ce qui ne
peut que contribuer à l'accroissement de la dette publique interne.
La demande intérieure prendra difficilement le relais des
exportations en tant que moteur de la croissance en raison du fait que
sans l'apport des savoir-faire techniques du Japon, de l'Amérique
du Nord et de l'Europe, les entreprises chinoises auront bien de la peine
à se développer. Il y a, certes, d'excellents ingénieurs
chinois, mais leur nombre est très insuffisant par rapport aux besoins
et le restera durant longtemps. De toute façon, la relance de la
demande intérieure et les grands travaux d'investissement ne pourront
être financés que par l'inflation.
B. Ardentes structures intermédiaires et super-structures.
- Chômage colossal, très supérieur au chômage
officiellement, avoué, tant dans les villes qu'à la campagne,
du fait des excès de population et des licenciements massifs de
salariés des entreprises d'Etat et de fonctionnaires.
- Misère énorme.
- Rébellions multiples à l'échelon local, tant
dans les villes qu'à la campagne, liées à l'exaspération
des contradictions entre une minorité de nantis et une majorité
de pauvres et de misérables, ainsi qu'au mécontentement provoqué
par la corruption et le régime de l'arbitraire.
- Rébellions qui vont jusqu'à l'organisation d'attentats
à la bombe en divers endroits du pays, ces attentats ne devant être
imputés qu'en partie aux "minorités nationales" en révolte.
- Réveil des "minorités nationales" encore capables de
se révolter (celles du Xinjiang notamment).
- Exaspération des contradictions entre les provinces pauvres
de l'intérieur et les provinces riches des régions côtières.
- Tentatives d'unification des mécontentements divers
et localisés qui travaillent l'ensemble du pays, celle de la mise
en place d'un parti démocrate étant la plus spectaculaire
et, aux yeux du pouvoir, la plus inquiétante. D'où la répression
immédiate de ses auteurs par le pouvoir: il fallait tuer le mouvement
dans l'úuf.
- L'ordre public reste des plus incertains, mis à part quelques
îlots où il règne à peu près. La criminalité
de droit commun augmente presque partout.
II
- La marmite a beau bouillir, le couvercle reste fort
- Les contradictions internes à la classe dirigeante restent
secondaires par rapport à celles qui l'opposent dans son ensemble
aux classes dirigées.
- L'appareil de répression reste partout, pour ce motif,
extrêmement efficace, qu'il s'agisse de celui de la police (des polices,
devrait-on dire) ou de celui des différents corps de l'Armée.
- Le contrôle de l'information reste également des
plus efficaces, en dépit du fait que l'information venue de l'étranger
franchisse de plus en plus aisément les frontières. C'est
grâce à lui que le pouvoir a réussi à capitaliser
à son profit la tragédie des inondations de l'été
1998 alors qu'il était patent qu'elle dénonçait ses
insuffisances.
- L'arriération culturelle et politique de la majorité
des Chinois, leur endurance proverbiale, leur désorientation morale
du fait de la liquidation de l'éthique traditionnelle et de l'éthique
communiste vraie, favorisent énormément la perpétuation
de la domination de la plouto-bureaucratie régnante.
III
- Les soupapes de sécurité de l'ensemble du système
Ces soupapes sont nombreuses et très opérantes,
tant à l'échelon local qu'à l'échelon national.
C'est sur elles qu'il convient de fixer l'attention pour comprendre pourquoi
la marmite bout sans exploser.
A. Les plus opérantes d'entre elles sont celles que
représentent les espaces de liberté relative ouverts à
presque toutes les catégories de citoyens par la politique des "réformes"
et de l'"ouverture", par la désarticulation économique du
pays, par son état semi-chaotique même, et par le fait que
le régime politique a cessé d'être totalitaire pour
ne plus être qu'autoritaire, ces espaces de liberté relative
étant ceux de :
- la liberté relative d'entreprendre,
- la liberté relative de voyager dans l'ensemble du pays,
de ne plus rester obligatoirement attaché à son trou,
- la liberté relative de penser, de discuter et même
de publier laissée à une intelligentsia toujours très
active, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur
du Parti, cette liberté-là trouvant son expression dans le
succès de livres comme ceux de He Qinglian ou de journaux comme
le "Nanfang zhoumo".
B. De multiples tolérances permettent également
de rendre moins douloureuses les adaptations de la société
à sa modernisation. Exemples:
- la pratique du xia-gang, c'est à dire d'une mise en
congé assortie d'une indemnité et du maintien du droit au
logement et du droit à être soigné gratuitement pour
nombre de salariés des entreprises d'État mises en faillite,
ou en voie de "restructuration",
- l'aide des banques aux achats d'appartements (crédit
à très long terme),
- Le fait que le pouvoir ferme presque partout les yeux sur le
travail au noir,
- le fait que le pouvoir respecte l'épargne des Chinois,
- la tolérance à l'endroit de la décomposition
des múurs.
C. Enfin, sur le plan moral et "idéologique", le
nationalisme de l'écrasante majorité des Chinois du Continent,
constamment flatté par le pouvoir, reste une des soupapes de sécurité
majeures de l'ensemble du système. Il permet également d'apaiser
les mécontentements récurrents de l'Armée. Sa nécessité
interne explique dans une large mesure l'agressivité de la politique
extérieure du Continent, telle que la conduit le "Centre", à
l'égard de l'Asie du Sud-Est et de Taïwan pour le moment en
particulier.
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