Le processus de canonisation de mère Teresa bat son plein à Calcutta

MERE TERESA : VENERABLE, BIENHEUREUSE OU SAINTE ?

L’archevêque de Calcutta a initié la première étape de la canonisation, qui mènera au titre de " Vénérable ".

CALCUTTA

FRANCOIS GAUTIER

1) LA SAMADHI DE MERE TERESA

" Enlevez vos chaussures ", prévient une pancarte à l’entrée de cette petite maison qui donne sur une ruelle. A l’intérieur, un tombeau en marbre blanc, surplombé d’une simple inscription : ‘Teresa, 1919-1997’. Car c’est ici, en plein centre de Calcutta, au sein même de la maison-mère, qu’est enterrée celle qu’on appela " la sainte des caniveaux " et qui s’occupa " des plus pauvres parmi les pauvres " pendant près de cinquante ans.

Les sœurs des missionnaires de la Charité, l’ordre que fonda la mère, ont visiblement joué la carte de " l’indianisation " : on a placé, à la manière hindoue, des pétales de fleurs sur le tombeau et disposé tout autour des " diyas " (bougies) qui éclairent la douce pénombre, afin que les nombreux Indiens qui viennent s’y recueillir, ne se sentent pas dépaysés, quelle que soit leur religion. Le samadhi (se dit en Inde de tombeaux de saints) de mère Teresa est également devenu une étape obligatoire des touristes de passage à Calcutta. Deux Américaines en short se sont assises sur un des bancs et semblent méditer en silence; un autocar déverse une fournée de Japonais qui font le tour du tombeau, pliés en deux et les mains jointes ; de temps à autre, des sœurs, habillées de leur simple sari de coton blanc bordé de bleu, viennent s’y concentrer, s’agenouillant et posant le front sur le marbre frais du samadhi. L’une d’entre elles, Sœur Alexandra, une Française, explique qu’elle est en troisième année de noviciat et qu’elle s’en ira bientôt " porter le message de Charité de mère Teresa partout dans le monde ".

A la sortie, on signe le Livre des Visiteurs tenu par une sœur souriante, avant de replonger, après ce moment de calme et de contemplation, dans la cacophonie et la pollution de Calcutta.

2) PETIT MANUEL DE CANONISATION

Saviez-vous que cela peut prendre quelquefois jusqu’à trois cents ans avant de devenir un ou une sainte ? Et que le processus se fait en trois fois étapes ? le Père Bryan, 43 ans, un Canadien, qui est le supérieur de la Maison des frères de la Charité à Calcutta et un des trois Conseils de l’Ordre masculin fondé par mère Teresa, vous explique tout ce que vous vouliez savoir sur la canonisation, mais n’aviez jamais pensé à demander.

La première étape indispensable à la sainteté, c’est le titre de Vénérable. Dans le cas de mère Teresa, le processus a démarré le 26 juillet denier, lorsque l’Ordre des missionnaires de la Charité proposa la canonisation de sa fondatrice. Monseigneur de Souza, archevêque de Calcutta (voir interview), nomma alors un " postulateur ", le Père Bryan, afin de constituer un premier dossier de canonisation, appelé " Positio " (la Position). Ce dossier inclura une biographie de Mère Teresa, accompagnée d’un résumé de ses vertus : prudence, justice, courage, humilité etc., ainsi qu’une annotation du respect qu’elle eût de ses vœux : chasteté, pauvreté, obéissance, dévouement… Enfin, il faudra y ajouter au moins un miracle ayant eu lieu après sa mort. " Nous l’avons ce miracle, sourit le Père Bryan : le 5 septembre 1998, lors du premier anniversaire du décès de notre fondatrice, on posa une médaille de la Vierge, que la mère avait portée, sur le ventre d’une femme qui était atteinte d’un cancer incurable de l’estomac … Le lendemain, à la stupeur des médecins, la tumeur avait disparue " ! Les rapports médicaux établis par un jury indépendant de docteurs– avant et après le miracle – feront bien sûr partie du " Positio ", qui peut contenir plus de 500 pages, et sera ensuite envoyé à Rome, où il passera d’abord devant une commissions de neuf théologiens.  Et c’est là qu’intervient le fameux ‘Avocat du Diable’, qui est le Président du Comité, et qui s’emploiera à démolir l’argumentation du Postulator en cherchant des failles dans les vertus de Mère Teresa : " on disséquera ainsi sa fréquentation de dictateurs (Duvallier), ou bien son autoritarisme qui faisait légende ", explique le Père Bryan. Il faut alors qu’au moins six des neuf théologiens se prononcent en faveur du dossier, avant que le Positio ne finisse devant un tribunal de 15 cardinaux, dont la majorité est également nécessaire afin de recommander alors au saint Père d’accorder le titre de Vénérable à Mère Teresa . Ce seul procédé peut prendre de trois à quatre ans ! " Et encore, rappelle le Père Bryan, Jean-Paul II a accordé une dérogation, qui a permis de commencer immédiatement le processus qui mène au titre de Vénérable, alors que normalement on doit attendre cinq ans après la mort du sujet ".

Une fois le titre de Vénérable acquis, commence le processus qui mène à la béatification. Et là encore, il faut un miracle : "  ce qui est important, souligne le Père Bryan, c’est de comprendre qu’un ou plusieurs miracles sont essentiels après sa mort et à CHAQUE étape de la canonisation ; les deux premiers peuvent avoir lieu localement, mais le troisième (après béatification) devra être ‘universel’, c’est à dire se passer hors Inde. Et c’est pour cela que le processus de béatification peut prendre si longtemps, ou tout simplement qu’il n’y ait pas de béatification du tout ". Quant à la canonisation, elle peut durer plusieurs décennies, ou même des siècles. Mais finalement, tout dépend du bon vouloir du Pape : " non seulement, c’est lui qui donne son assentiment à chacune des trois étapes, mais il peut les court-circuiter à tout moment, même s’il n’y a pas eu de miracles, en déclarant Mère Teresa une sainte ". C’est bien sûr dans ce sens que vont les prières quotidiennes des sœurs de la Charité de Calcutta et des 25 millions de Chrétiens que compte l’Inde…

ENCADRE : LE POINT DE VUE DES ADVERSAIRES DE MERE TERESA

Mère Teresa a aussi ses détracteurs en Inde, qui lui ont surtout reproché de véhiculer une image extrêmement négative de leur pays, sans jamais essayer de la contrebalancer. " Elle aurait pu dire que pendant soixante ans, cette nation, à majorité hindoue, lui a accordé son hospitalité et l’a même adoptée, lui donnant la nationalité indienne ; ou alors qu’il n’y a pas que de la pauvreté en Inde, mais que ce pays envoie des fusées dans l’espace, possède de brillants savants, ou est le premier exportateur au monde de programmes informatiques.. Mais non, elle a choisi de ne parler que de ses mouroirs et des orphelins de Calcutta ", dénonce Arun Shourie, ancien rédacteur en Chef du journal Indian Express. On l’a également accusée de laisser mourir les vieux miséreux qu’elle ramassait dans les rues, car elle refusait de pourvoir son mouroir d’équipements hospitaliers ; ou bien de ne pas offrir de formation professionnelle aux destitués qu’elle prenait sous son aile. D’autres, tel l’écrivain anglais Christopher Hitckins lui ont reproché de solliciter des dons de dictateurs, et surtout de chercher à convertir les orphelins qu’elle recueillait. Cela n’empêche pas une majorité des habitants de Calcutta de souhaiter sa canonisation. Même le gouvernement communiste (*) du Bengale, dont Calcutta est la capitale, qui s’était accommodé de mère Teresa vivante, serait fier de la voir canonisée après sa mort – bien qu’il ne croie pas aux miracles : " nous voulons bien qu’on en fasse une sainte, mais cette histoire de miracles appartient au Moyen Age ", estime Saumitra Banerjee, journaliste au Telegraph.

(*) Depuis 20 ans, Le Bengale occidental est gouverné par des communistes, probablement un des rares gouvernements marxistes élus démocratiquement

3) INTERVIEW DE MONSEIGNEUR DE SOUZA ARCHEVEQUE DE CALCUTTA

Monseigneur Henri de Souza, 74 ans, archevêque de Calcutta depuis 15 ans, est à l’origine de la demande de canonisation de mère Teresa . Car il a bien connu le Prix Nobel de la Paix : " elle fut une mère pour moi, se rappelle-t-il aujourd’hui ; d’ailleurs, lorsque j’ai subi une crise cardiaque à Hong Kong, elle m’a envoyé un télégramme qui disait : ‘qui t’a permis d’être malade’ " ! Monseigneur de Souza se souvient encore de la dernière fois qu’il a rencontré Mère Teresa, peu de temps avant sa mort. Elle m’a dit : " Rappelle-toi que je suis ta mère et que chaque matin je t’offre au Seigneur ". 

Q. A la veille du 21è siècle, on peut être gêné par ces miracles, indispensables à la canonisation de Mère Teresa…

R. C’est une manière occidentale de voir les choses : ‘il n’existe rien au-delà de la science / je ne crois qu’en ce que je vois’. Ces gens-là pensent que la sainteté de mère Teresa découlait uniquement de la bonté de son cœur et non de la Grâce surnaturelle de Dieu. Mais le peuple de l’Inde, tout spécialement hindou, croit en une divinité au-delà de l’humanité, ils ont le sens d’une Présence divine, vers laquelle ils se tournent spontanément. Ainsi, le petit peuple de Calcutta sera ravi de la canonisation de Mère Teresa.

Q. N’est-il pas vrai, comme l’affirment certains journalistes indiens, que cette canonisation de mère Teresa va encore renforcer l’image d’une Inde pauvre, qui tend la main ?

R. Je le reconnais, mais on ne peut pas occulter la pauvreté en Inde. Mère était une sainte des pauvres –les plus pauvres parmi les pauvres - aimait-elle à répéter !

Q. Pourtant, c’étaient les riches Indiens qui étaient surtout attirés par elle…

R. Oui, car elle était comme un sadhou (moine hindou), qui a renoncé à tout pour atteindre à une perfection intérieure – et c’est cette inexplicable puissance qui attirait l’intelligentsia indienne.

Q. Mère Teresa ne faisait-elle pas le travail que les Indiens eux-mêmes devraient accomplir : la charité envers leurs semblables ?

R. Exactement. Les Indiens sont ravis qu’on en fasse une sainte, mais cela va-t-il les motiver à se tourner vers les pauvres ? Ce n’est malheureusement toujours pas le cas. Prenez par exemple le gouverneur de Californie, qui était là il y a quelques semaines : il a travaillé quinze jours au mouroir de mère Teresa, comme n’importe qui. Je n’ai jamais vu un homme politique indien, ni même de riches Indiens à Hriday Nirmal (le mouroir) – la plupart des volontaires sont des occidentaux. La faute en incombe principalement à l’Hindouisme qui prêche le salut individuel plutôt que la charité envers son prochain. Et puis il y a ce fatalisme karmique qui fait que les hindous se résignent à leur misère, car ils espèrent un meilleur sort à la prochaine réincarnation. Les Indiens veulent les fruits de la chrétienté, mais pas l’arbre, ce qui n’est pas logique.

Q. L’Inde n’a-t-elle donc pas vraiment imbibé le message de service de mère Teresa ?

R. Non, ils tolèrent que nous nous occupions de leurs miséreux et de leurs mourants, ou de leurs laissés pour compte, mais ils n’acceptent pas que nous redonnions leur dignité aux intouchables et aux basses castes.

Q. En les convertissant ?

R. S’ils choisissent d’eux-mêmes de rejoindre nos rangs, comment pouvons-nous les en empêcher ? Mère Teresa elle-même n’a cessé de répéter qu’elle ne cherchait pas à baptiser, mais qu’elle offrait l’amour du Christ.

Q. Les adversaires de mère Teresa lui ont reproché de ne pas avoir cherché à former professionnellement les orphelins ou les miséreux qu’elle recueillait, afin qu’il puissent se réinsérer dans la société…

R. Ce n’est pas complètement faux, mais elle estimait que l’amour qu’elle prodiguait était bien plus important.

Q. On a même dit qu’elle refusait d’alléger les souffrances des agonisants en équipant ses mouroirs de moyens médicaux modernes.…

R. Encore une fois, il y a du vrai là dedans. Je lui avais même fait remarquer une fois que les lits du mouroir étaient trop serrés les uns contre les autres, mais elle m’avait répondu qu’elle ne pouvait pas refuser de place à d’autres nécessiteux. Cela dit, depuis quelque temps nous faisons un réel effort pour améliorer la qualité du service médical.

Q. On lui a également reproché de fraterniser avec des dictateurs…

R. Chaque être humain possède une parcelle de bonté en lui-même et c’est vers cette parcelle-là que se tournait la mère. De plus, elle estimait que l’argent n’a pas de couleur et elle le prenait où elle trouvait – l’important pour elle était qu’il soit mis au service du Seigneur.

Q. Ne pensez-vous pas également que son opposition farouche à tout contrôle des naissances était déplacée dans un pays terriblement surpeuplé et qui n’arrive même pas à nourrir sa population actuelle ?

R. L’avortement la révoltait, car c’est supprimer la vie - et elle enseignait les méthodes naturelles de contrôle de naissance. Ce qu’il faut en Inde, c’est éduquer les hommes, car les femmes savent spontanément la douleur et le travail d’une famille trop nombreuse.

Q. Comment se débrouille Sœur Nirmala, qui a succédé à mère Teresa ?

R. Il est sûr qu’elle n’a pas le même charisme. Mais l’œuvre de la mère continue – d’ailleurs regardez : nous avons autant de volontaires dans nos mouroirs et notre orphelinat et les dons affluent toujours du monde entier.

Q. La canonisation de mère Teresa est-elle inéluctable ?

R. Oui, mais ce sera long. (silence)… Le Pape a pouvoir de la déclarer sainte sans passer par toutes les étapes - et il aurait même pu l’annoncer lorsqu’il est venu en Inde, mais il a choisi de ne pas le faire… Ce sera Dieu lui-même qui va donner son fiat à cette canonisation en produisant des miracles, comme il l’a déjà fait avec cette guérison d’un cancer réputé incurable, miracle qui a été médicalement vérifié par de grands docteurs (voir précédent article).

Q. Le Pape, qui était récemment en Inde, a déclaré que l’Asie serait la terre d’évangélisation du troisième millénaire, ce qui a beaucoup choqué les hindous. Qu’avez-vous à répondre ?

R. Jésus Christ sera le cadeau du troisième millénaire pour l’Asie. Mais il reste à chacun la liberté de choisir sa religion, comme le garantit la constitution indienne.

Q. Pensez-vous donc qu’un jour toute l’Inde puisse devenir chrétienne ?

R. Non. Mais plus l’Inde s’alphabétisera, plus nous compterons de chrétiens. Prenez le Kerala par exemple, qui est totalement alphabétisé : il possède une communauté chrétienne de 20%, ce qui n’est pas négligeable … Et c’est peut-être ce que nous pouvons espérer.

ENCADRE  : ON FERME LE CONSULAT FRANÇAIS DE CALCUTTA

On ferme le consulat français de Calcutta, première ville culturelle de l’Inde, berceau de ses plus grands poètes, écrivains, philosophes ou cinéastes : Rabindranath Tagore, Sri Aurobindo, ou Satyajit Ray. On ferme le consulat français de Calcutta, un des plus vieux d’Asie (il n’y avait que cinq consulats français en 1947, dont celui de Calcutta), qui couvre près de 250 millions d’âmes (tout le Bengale et le nord-est de l’Inde). On ferme le consulat français de Calcutta – et pourquoi ? " Parce que le Quai d’Orsay veut faire des économies ", répond-on de source officielle. " Non , rétorque un expatrié français de Calcutta, parce que le consulat français vivait par et pour mère Teresa - et le consul passait le plus clair de son temps à faire l’intermédiaire entre les missionnaires de la Charité et les dignitaires, journalistes ou simples touristes français qui voulaient rencontrer le Prix Nobel. Mère Teresa morte, la France se désintéresse-t-elle pour quelques francs d’une des métropoles les plus vivantes au monde ?

F.G.