POSITION DE THÈSE
I. Derrière son apparence
de petit archipel isolé et féodal, le Japon est la clef d’une
plus vaste barrière maritime qui contrôle l’accès aux
côtes asiatiques. Le Japon qui, au fil de son histoire, a de mieux
en mieux réalisé son contrat géopolitique, est ainsi
aujourd’hui riche, puissant et dynamique au point d’apparaître comme
l’une des puissances susceptibles d’accéder au premier rang mondial.
Ses compétiteurs ne sont, malgré
son immensité, ni le monde chinois (même au sens le plus large),
qui reste une puissance en retrait, ni l’Europe qui, malgré une
puissance économique supérieure, demeure relativement moins
riche et surtout sans réelle cohésion. La compétition
est donc d’abord avec les États-Unis.
L’étude comparée de la puissance
des deux pays induit l’idée d’un rattrapage des États-Unis
par le Japon à un horizon prédictible (entre une et deux
décennies), d’autant que le croisement des informations relatives
au PNB et au PNB per capita précise que l’évolution s’effectue
en sens inverse.
II. La stratégie développée
par le Japon depuis la défaite de 1945 est la suivante :
1) De 1945 à 1965, les Japonais
ont d’abord reconstruit leur personnalité socio-politique et leur
appareil économique en s’ancrant sur la dynamique américaine.
Du fait de la guerre froide, puis de la guerre de Corée, les États-Unis
d’Amérique se sont paradoxalement retrouvés dans la nécessité
de prendre en charge le Japon qu’ils venaient de mettre à genoux.
Profitant de l’impulsion initiale de la de "mande américaine, le
Japonais ont réintégré la communauté internationale,
puis ont accédé (1964) au club très fermé des
grandes nations industrialisées.
2) Sur les décennies 1965-1985,
le Japon a pu alors reconstituer sa base régionale. A la faveur
de la guerre du Viêt-Nam, il récupère les îles
Bonin et Ryu Kyu, et devient le premier partenaire commercial des pays
d’Asie orientale. Le premier choc pétrolier le conduit ensuite à
renforcer la performance de ses entreprises ; il s’impose alors comme premier
donneur d’aide aux pays d’Asie orientale et développe ses liens
avec la République populaire de Chine. Les banques japonaises utilisent
enfin l’accélération de la vitesse de circulation des flux
de court terme pour faire du Japon le premier opérateur financier
de la planète.
3) La réévaluation du yen
double en deux ans (1985-1987) la capacité d’intervention du Japon
et, bien qu’au seuil des années 90 éclate une “bulle spéculative“,
le Japon ne cesse d’étendre son aide au développement et
devient partie prenante de la sécurité mondiale en participant
aux opérations de maintien de la paix de l’ONU. la baisse du yen
en 1996 est l’occasion pour le Japon de restructurer l’appareil socio-productif,
de moderniser le système bancaire et les keiretsu. Ce rajustement
structurel, qui signifie la fin du demi-siècle d’après-guerre,
autorise le Japon à affirmer ses objectifs.
Alors même que la crise financière
des pays d’Asie orientale démontre sa puissance, car il fournit
près de 40% de l’aide financière d’urgence accordée
aux pays en crise, il cogère maintenant avec les Américains
un nombre croissant de dossiers, au plan régional (sécurité)
et au plan mondial (environnement, contre-terrorisme…). Il est donc à
même de promouvoir la réforme des institutions en charge de
l’ordre planétaire, le FMI et l’ONU.
III. Le déploiement actuel
de la montée en puissance du Japon repose sur trois opérations
:
1) Un positionnement en amont des logiques
capitalistes : en tablant sur leur capacité d’épargne élevée,
les Japonais se sont construit des armes économiques, de moins en
moins visibles au fur et à mesure qu’elles devenaient plus performantes.
A partir de leurs excédents commerciaux (biens et services), partiellement
recyclés dans les investissements directs à l’étranger,
et en soutenant l’appréciation continue de leur monnaie, ils ont
accumulé des surplus financiers qui ont fait du Japon le premier
pays créditeur, avec plus de la moitié des actifs nets à
l’étranger, de la planète.
2) Fort de cette base, les Japonais développent,
par ondes concentriques, un dispositif géopolitique dont ils occupent
le centre : ils s’appuient sur leur espace de nipponité directe
(celui des années 1880) et la reconstruction de leur défense,
étendue à un cadre régional où ils devraient
prendre, à moyen terme, le pas sur les Américains. Au travers
d’une politique d’aide au développement qui fait d’eux les premiers
donneurs d’aide du monde, ils tissent un réseau mondial de points
d’appui qui accompagne un projet d’internationalisation du yen.
3) Enfin, ils rebondissent sur la “crise“
des années 90 pour redynamiser la société japonaise.
Sous couvert de remettre en place la machine socio-productive, en soutenant
la reconfiguration des keiretsu, l’assainissement des banques et
en jouant une ouverture tout azimuts en direction de l’étranger,
les Japonais redéfinissent des cibles stratégiques choisies
pour les vingt années à venir, en même temps que les
orientations de la recherche et développement. Le tout accompagné
d’une refondation des valeurs culturelles japonaises servant d’assise à
la modernisation “technique“ et au développement de la créativité.
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