Revue de l’International Herald Tribune en janvier
2001
1.1
L'Asie craint que la politique de Bush ne débouche sur la relance
de la course aux
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Dans un article publié le 25 janvier, Michael Richardson écrit de Bangkok que la région Asie-Pacifique "a peur" que la politique de Bush à l'égard de la Chine ne débouche sur une course aux armements. Pour l'Asie, l'inquiétude viendrait essentiellement de ce que les États-Unis pourraient durcir leur politique à l'égard de la Chine et surtout mettent en priorité la question du bouclier nucléaire. Les alliés des États-Unis redoutent au premier chef l'instabilité qui résulterait de cette escalade dans la région, qui risquerait d'affecter leur développement économique et de dissuader l'investissement. Le plus grave serait que ces pays d'Asie soient dans l'obligation de prendre parti par rapport à la Chine. L'idée maîtresse est que la tension avec les États-Unis ne pourrait produire que des désagréments qu'il faudrait supporter. Melina Nathan, de l'Institut des études stratégiques de Singapour, note que le ministre des Affaires étrangères du Japon prévoit de rencontrer Colin Powell, dans l'espoir que les États-Unis placent le Japon au centre de leur politique asiatique. Elle a noté de manière rassurante que, devant la Commission des affaires étrangères du Sénat américain, le nouveau Secrétaire d'État a donné une forme constructive à sa présentation de ses vues sur la Chine, notamment par rapport au Japon, à l'Australie, et à la Corée du Sud. La Chine était certes en compétition avec les États-Unis, elle était un rival, mais également un partenaire commercial. A la différence de l'Administration Clinton, la Chine n'était cependant pas un partenaire "stratégique" des États-Unis. La RPC n'était pas " notre ennemi " avait-il fait observer, et les États-Unis avaient l'intention de "keep it that way". Les autres aspects retenus par les observateurs de ces déclarations sur l'Asie étaient qu'il fallait répondre à une Chine marquée par sa dynamique. D'importance également, l'accent mis sur les liens avec Taïwan et le bouclier anti-missile. Cette dernière question, pour les observateurs asiatiques, est considérée comme viscérale pour la Chine. Aussi sont-ils plus qu'inquiets d'un déploiement dans la région d'un système de défense basé sur des missiles de théâtre, destiné à protéger les alliés et amis. Le risque était bien que la Chine réagisse en développant son arsenal et ses forces nucléaires, encore faibles, et que de leur côté, l'Inde et le Pakistan se relancent dans la course aux armements nucléaires. Au sujet de Taïwan, les observateurs ont noté que, pour le Secrétaire d'État, Washington s'en tenait au principe d'une seule Chine mais qu'il devait y avoir entre et la Chine un règlement pacifique qui soit acceptable pour les deux côtés du Détroit. En revanche, les États-Unis entendaient fournir à l'île les moyens de sa défense. L'article rappelle qu'en avril dernier Washington avait décidé cependant de reporter sa décision de fournir à Taïwan des destroyers équipés du système Ægis et des ordinateurs capables de poursuivre 100 objectifs terre-air-mer. A ce sujet il est rappelé que si la Chine est absolument opposée au bouclier nucléaire - comme protection d'attaques venant d'États " voyous " -, elle était également contre même un système limité, qui neutraliserait l'arsenal nucléaire chinois de dimension réduite. Pour le porte-parole chinois Zhu Bangzao, la Chine était notamment opposée aux missiles de défense de théâtre ou de portée régionale. Pékin considère en effet qu'un tel système était fait pour protéger Taïwan et la Corée du Sud, où sont stationnées plus d'une centaine de milliers de militaires américains. En résumé de tous ces points, Colin Powel, a indiqué que le système de défense de théâtre était absolument nécessaire à la protection des forces militaires américaines. D'après Michael Richardson, le ministre australien des affaires étrangères, (soucieux apparemment de ne pas se laisser entraîner dans cet engrenage) a fait valoir qu'il fallait faire une distinction entre les systèmes de défense nationaux et régionaux proposés par l'administration Bush. Pour conclure que ces déploiement étaient par nature complexes et difficiles techniquement, d’une application lointaine et lointaine dans le temps. Nombre de questions se posaient qui demandaient réflexion. |
Le 29 janvier, Erik Eckhom rapporte de Pékin que les experts chinois et américains avaient commencé à explorer les voies et moyens de rendre ce projet de " bouclier " plus acceptable pour la Chine, et d'arriver à un compromis - qui bien que difficile - n'était pas impossible. D'après lui, parmi les résistances rencontrées à ce projet de par le monde, la résistance chinoise paraissait la plus intransigeante. Au point que si l'administration américaine allait de l'avant - ce qui paraissait très vraisemblable, les objections de Pékin ressembleraient bien à un défi extrêmement " dur " en matière de politique étrangère. L'analyse - subtile à tous égards, au point de s'inscrire dans un processus proche de l'hérésie - exigerait des accommodements, sans lesquels l'affaire du Bouclier risquait d'empoisonner les relations, de relancer une course aux armements à travers l'Asie, et au pire de faire monter un risque de guerre. Les Américains jusqu'ici ont bien précisé que le système envisagé ne visait que les États " voyous ", puissances mineures, cependant que pour le reste ils avaient peu de choses à offrir à la partie chinoise, sinon que ce bouclier de missiles n'étaient pas orienté contre elle. Mais celle-ci est convaincue que ce système neutraliserait leurs forces nucléaires et que dans ces conditions la Chine serait vulnérable à toute forme de "bullying" potentiel, particulièrement en regard de Taïwan. Dans ces conditions, les experts des deux parties, assurés que le système était bien au programme de la nouvelle administration, ont estimé qu'une nouvelle réflexion était absolument nécessaire. Pour Li Bin, un savant nucléaire et expert en contrôle des armements, de l'Université Qin Hua, si le système concernait la Chine, il n'y avait aucune place pour un compromis. En revanche, s'il ne vise bien que les États dévoyés, et ne cherche en rien à saper la dissuasion nucléaire chinoise, l'expert chinois, conseiller du gouvernement chinois, a estimé qu'il serait possible d'arriver à un accord, a rapporté ce journaliste basé à Pékin. Pour ce dernier, le fait que des experts chinois aient participé à ces rencontres tendrait à démontrer le désir de Pékin de trouver des solutions à leurs problèmes et qu'ils soient pris en considération. Les experts américains étaient là pour démontrer que l'affaire était bien engagée et que pour Pékin la question était de s'engager dans un dialogue ou de se cacher la tête dans le sable, aurait déclaré un expert du Brookings Institute, M. Bates Gill. L'objectif n'étant pas nécessairement un traité, comme avec l'URSS, mais plutôt un "arrangement stratégique" (strategic understanding) informel, s'agissant de la taille du bouclier comme du nombre des armes offensives que la Chine projetait de développer. |
William Saphire, présent à Davos, évoque un entretien avec Lee Kuan yew pour s'interroger avec l'ancien PM de Singapour sur le sens à donner à ce mouvement "Fa Lun Kong". Pour Lee Kuan Yew, quand une idéologie s'en va et meurt, c'est l'anomie qui s'installe. Dans un environnement de léthargie, les peuples se laissent entraîner dans des mouvements offrant pour leur vie une forme de cohésion. Voir la rébellion des Boxers. Aussi bien, le mouvement Fa Lun Gong apparaît-il aux dirigeants chinois comme un "défi à leur autorité". Lee Kuan Yew comme à son habitude s'étend sur les affaires internationales et va souhaiter des accommodements avec les "Barbares" : l'idée serait qu'étant affaiblie à l'intérieur par ces forces adverses, Pékin pourrait accepter un certain niveau de défense américain, orienté vers les États "dévoyés". En retour, contre des droits d'inspection accordés aux État-Unis, la Chine accepterait un système qui n'aurait pas pour cible effective la dissuasion nucléaire chinoise (il semble bien ici que l'ancien PM de Singapour reflète des vues déjà avancées en direction de la Chine par les experts américains - Singapour s'efforçant de se mettre en avant sur plusieurs points où la nouvelle administration est à la recherche de solutions. La remarque tend à démontrer ensuite que la Chine est, au même titre que la Russie, préoccupée par la menace américaine, mais moins confiante, compte tenu du contexte intérieur, quant à ses possibilités d'y faire face. C'est ce qui découle de cette interview faite à Davos par W. Saphire, en promenade dans les collines, avec le plus occidentalisé des dirigeants asiatiques. |
Dans un Éditorial du 9 janvier, Philip Bowering, le principal commentateur du IHT sur l'Asie, s'interroge sur le fait de savoir si la Chine n'aurait pas fini par estimer que le comportement de " bon flic " pourrait être plus "payant" que la menace pour arriver à la réunification. Le vice premier ministre aurait ainsi estimé qu'il y avait lieu sur Taïwan de faire preuve de plus de "flexibilité", en acceptant un certain degré d'égalité entre les deux parties. De même aurait-on indiqué aux législateurs taïwanais de l'opposition que des liens directs entre les deux rives n'étaient pas impossibles, sans aller jusqu'à imposer formellement le principe d'une seule Chine. On aurait tort de penser cependant que des liens directs étaient inévitables ou qu'un changement majeur serait intervenu sur la question des relations de part et d'autre du Détroit. Il s'agirait plutôt, selon M.Bowring d'une convergence d'événements qui auraient incité Pékin à de nouvelles tactiques à l'égard de la grande île : - Les deux protagonistes doivent un jour se retrouver au sein de l'OMTCes facteurs ne marquaient donc pas un réel changement stratégique de la Chine mais plutôt la prise en compte d'éléments nouveaux qui en fait permettaient à Pékin de parler plus "doucement", et de tenir compte des réalités économiques et des contingences commerciales, avec un Taïwan où les industriels avaient tendance à pas s'en tenir aux limites imposées par le gouvernement, du fait de leurs bonnes relations avec Chen Shui-pian. Il y avait aussi une évolution technologique à Taïwan qui rendait l’île moins dépendante de la Chine en contributions de main-d'œuvre bon marché, alors que la Chine elle-même plus dépendante deTaïwan en capitauxet expertise. Cette évolution était à double tranchant et pouvait renforcer au contraire l'identité taïwanaise. Enfin, on constatait que le président Chen shui-pian tendait pour sa part à s'éloigner de ses propos sur l'indépendance pour leur substituer le concept d'une " intégration graduelle ". |
Dans un article signé Sunanada K. Datta-Ray, professeur invité À l'Université d'Oxford, journaliste au Statesman de New Delhi, cet expert indien observe que la visite en Inde de Li Peng, ancien premier ministre de la Chine et président de l'Assemblée nationale chinoise, démontre la nervosité de la RPC devant les projets de l'administration Bush en Asie, en matière de défense. L'idée d'un triangle stratégique formé par la Russie, la Chine et l'inde - avancée par la Russie voici deux ans - continue de hanter un pays comme la Chine. Sans que cela produise le même effet du côté indien, oÙ l'on a prêté attention aux paroles encourageantes de Colin Powell sur une Inde qui avait la potentialité de sauvegarder la paix autour de l'Océan indien. Les États-Unis avaient eu le bon goût d'ores et déjà de lever les sanctions économiques décidées en 1998 après les 5 explosions nucléaires indiennes. D'autre part, il est vrai qu'en Inde on regarde avec une certaine anxiété la tendance américaine à engager des actions unilatérales sur la scène internationale, comme au Kosovo, et que l'on s'interroge sur ces systèmes multilatéraux conçus pour "garantir" la sécurité. De même les déclarations de Donald Rumsfeld qualifiant la Russie, la Chine et l'Inde de pays "dangereux" en raison de leurs capacités militaires en matière de destructions massives pourraient conduire Delhi à s'interroger sur le rôle stabilisateur attendu de Washington en Asie. On aura noté que dans ce débat d'idées entre l'Inde et les États-Unis, les Américains, qui ont observé la montée en puissance des missiles Agni, auraient mis en avant - non sans ironie - que le nombre des nationaux indiens résidant aux États-Unis était considérable… De son côté Li Peng n'a pas manqué de déclarer que la Chine n'avait jamais considéré l'Inde comme une menace et qu'il espérait que Delhi arriverait à exorciser le fantasme d'une Chine hostile. A noter, selon le journaliste du Statesman, que le visiteur chinois avait de surcroît prononcé des paroles bonnes À entendre contre le terrorisme international et la violence - sans pour autant rassurer le pays hôte s'agissant des patrouilles russes dans l'Océan indien, la coopération militaire entre les deux pays, concrétisées par des ventes d'armes et d'équipements à la Chine. L'Inde est naturellement tentée de rechercher avec des partenaires comme la Chine un consensus asiatique, mais les "paroles de miel" ne peuvent effacer, selon le journaliste, 4 décennies e relations difficiles avec une aide chinoise au Pakistan dans les domaines du nucléaire et la construction de missiles. Rappeler en outre que Pékin avait très durement critiqué les expérimentations nucléaires indiennes. Ne pas oublier non plus les liens économiques avec les États-Unis. Enfin, la Chine occupe toujours, selon Delhi, une partie du territoire indien. En bref, on doute que dans la capitale indienne on soit prêt, en dépit de certains problèmes avec Washington, à abandonner des liens avec le partenaire économique majeur de l'Inde ans preuve appuyée que Pékin souhaite réellement une solution équitable aux problèmes bilatéraux qui ont existé de mémoire d'homme entre les deux pays. |
1.6 Séoul entend plaider aux États-Unis le dossier coréen du rapprochement Dans une interview accordée au IHT du 6-7 janvier 2001, Kim Dae Jung estime que la réunification ne pourra se réaliser avant plusieurs décades. Il projette une rencontre avec le Président Bush, décidé à lui demander de poursuivre la "sunshine policy", entamée par son prédécesseur - c'est-à-dire d'engagement avec le Nord. Compte tenu du contexte de défense américain, il appréhende en effet que ce rapprochement ne souffre des nouvelles dispositions américaines en matiÈre de défense et que les acquis de la politique antérieure ne soient remis en question. La Corée du Nord est certes identifiée parmi les pays "voyous", mais il est nécessaire, d'après lui, qu’on comprenne aux États-Unis que si le Nord avait été amené à revenir sur sa politique de confrontation, c'était bien pour des raisons économiques. La question était posée entre une "politique douce, avec un adversaire potentiel, ou un durcissement qui aurait pour effet de pousser cet adversaire dans les coins", avec construction de nouveaux armements. On acceptait désormais le principe d' une présence militaire américaine dans le sud. Aussi bien avait-il l'intention de plaider le maintien du triangle Corée,
Japon États-Unis et la poursuite du dialogue avec la Corée
du Nord.
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