Caractéristiques
physiques et humaines de l'Asie du Sud
L'Asie du Sud, qui rassemble 7 pays (surtout deux grands, l'Inde
et le Pakistan), s'étend sur près de 4.500.000 km_. 3.800
kilomètres séparent la frontière pakistano-afghane
de la frontière indo-birmane, 3.200 kilomètres séparent
la frontière pakistano-chinoise de la pointe Sud de l'Inde. Transposez
ces chiffres à l'échelle de l'Europe et vous comprendrez
de suite que l'Asie du Sud est bien un sous-continent.
Sur ces vastes étendues, vivent environ un milliard trois
cents millions d'êtres humains, fort différents les uns des
autres. De plus, la croissance démographique est forte. Là
aussi il y a différence d'échelle par rapport à l'Europe.
Rien donc d'exceptionnel s'il se passe dans cette région
du monde beaucoup de choses en matière sécuritaire. La violence
y a toujours existé dans l'histoire ancienne et récente et
existe encore. Le concept de non-violence y est né parce qu'il était
plus nécessaire là-bas qu'ailleurs. Il est né avec
le bouddhisme fécondé par cette terre. D'autres idéologies
ou religions ont également prôné la paix avec des succès
inégaux. Le jaïnisme, fondé à peu près
à la même époque que le bouddhisme, rejette toute forme
de violence. Le sikhisme se voulait úcuménique ; il recherchait
la synthèse entre l'hindouisme et l'islam. A l'époque de
l'indépendance, Gandhi prônait la non-violence. Des personnalités
étrangères mais ayant vécu ou vivant en Inde ont repris
le flambeau : la mère Thérésa était en quelque
sorte son disciple comme líest aujourdíhui le Dalaï Lama.
Pendant la période britannique, la sécurité
se posait essentiellement en termes internes. Les Indes étaient
protégées par des glacis (Afghanistan à l'Ouest, Népal
et Tibet au Nord) ; les dangers extérieurs, représentés
par la Russie et la Chine, avaient été écartés.
Les Anglais savaient contrôler les tensions entre hindous et musulmans
et, à l'occasion, jouer de leur rivalité. |
Les fractures
Fracture entre hindous et musulmans
La fracture essentielle, fondamentale, reste celle qui oppose
hindous et musulmans. Elle épouse les frontières entre les
nouveaux Etats, par exemple la frontière indo-pakistanaise et traverse
les nations en leur cúur, par exemple la société indienne
(l'Inde comprend en effet environ 120 millions de musulmans, c'est à
dire autant que la population du Bangladesh et presque autant que celle
du Pakistan). Les deux principaux Etats d'Asie du Sud, l'Inde et le Pakistan,
sont nés dans l'hostilité réciproque ; des provinces
historiques comme le Punjab et le Bengale ont été coupées
en deux.
Fracture entre les mondes indien et chinois
Il existe une autre fracture, celle qui sépare le monde
indien du monde chinois. Avec la sinisation du Xinjiang et du Tibet, les
deux mondes se sont retrouvés au contact direct líun de líautre,
dans líHimalaya.
Conséquences de ces deux fractures pour l'Inde et le Pakistan
L'Inde doit donc faire face à deux menaces, celle du Pakistan
toujours probable mais tout à fait à sa mesure et celle de
la Chine plus dangereuse mais moins probable.
Le Pakistan n'a lui qu'un ennemi, l'Inde. Depuis le départ
de l'armée rouge et la disparition de l'Union Soviétique,
l'Afghanistan ne représente en effet plus de danger militaire. L'instabilité
qu'il connaît peut toutefois se répercuter sur les provinces
occidentales pakistanaises, surtout la Province Frontière du Nord-Ouest.
La clarté stratégique dans cette partie du monde
est de règle. Rien à voir avec la nouvelle donne en Europe
où l'on ne sait plus très bien d'où vient le danger,
où sont les menaces. En Asie du Sud on sait qui est l'ennemi, ce
qui ne veut pas dire que l'on connaît exactement ses desseins. Il
reste toujours d'importantes marges d'incertitudes |
Dictature
de l'histoire et de la géographie
La dictature de l'histoire se maintient. L'Inde fière de
son passé prestigieux, de sa civilisation plusieurs fois millénaire,
revendique une place prépondérante en Asie du Sud et même
dans le monde. Le Pakistan se considère comme l'héritier
du pouvoir musulman prédominant en Asie du Sud pendant 1.000 ans
et en particulier de l'empire moghol qui contrôlait la majeure partie
du sous-continent avant la conquête britannique. Deux orgueils se
confrontent. Sur les plans culturel, spirituel, moral, les deux pays affichent
un véritable complexe de supériorité. Les tensions
interétatiques se nourrissent des haines du passé, des destructions
systématiques de temples hindous par les musulmans et de mosquées
par les hindous.
La dictature de la géographie s'estompe. La technologie
permet de franchir les obstacles naturels, comme la chaîne de l'Himalaya
et les déserts du Rajasthan, du Cholistan et du Thar. Des routes
et pistes franchissent désormais des cols dans le Karakoram et l'Himalaya
à 5 000 mètres d'altitude. Les hélicoptères,
indiens comme pakistanais, les mêmes d'ailleurs puisqu'ils sont d'origine
française, peuvent se poser à des altitudes très élevées
et déposer hommes et matériels. A vrai dire ces zones montagneuses
et désertiques n'ont jamais été infranchissables.
La mise au point, par l'Inde, de missiles à portée stratégique
rend inopérante la protection naguère encore offerte par
l'éloignement aux centres industriels et aux cités de la
Chine. La technologie se joue des distances. La mobilité actuelle
des forces permet de mieux contrôler les frontières même
si celles-ci sont longues (pour l'Inde, 15.000 kilomètres de frontières
terrestres et 5.700 kilomètres de frontières maritimes ;
pour le Pakistan 5 500 kilomètres de frontières terrestres
et 1 110 kilomètres de frontières maritimes). Toutefois,
la diversité des possibles terrains d'engagement (hautes montagnes,
plaines, déserts) oblige les pays d'Asie du Sud, surtout l'Inde
et à moindre degré le Pakistan, à mettre sur pied
plusieurs types d'unités. De plus, la géographie humaine
conserve ses droits ; l'augmentation de la population, très importante
au Punjab, et la multiplication des canaux d'irrigation dans cette même
région peuvent constituer une gêne pour le mouvement des unités
blindées et mécanisées. |
Réflexion stratégique
L'inexistence de livre blanc sur la défense en Asie du
Sud ne signifie pas que la réflexion stratégique soit inexistante.
Des études sont conduites par les états-majors mais elles
restent confidentielles. Du fait de l'état de crise internationale
quasi-permanent, tout ce qui touche à la défense est considéré
comme secret. D'où la difficulté de connaître les éléments
de réflexion bien que la presse, en Inde comme au Pakistan, soit
libre et de bonne qualité. Des universitaires et des militaires
(ces derniers, le plus souvent à la retraite) écrivent sur
les problèmes de défense, à titre individuel ou dans
le cadre d'instituts de recherche. Des éminents chercheurs universitaires
d'Asie du Sud étudient aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Allemagne,
un pays qui fascine Indiens et peut-être plus encore les Pakistanais.
Quelques oeuvres sont stimulantes, y compris pour ce qui concerne les armements
nucléaires, sujet d'actualité. C'est le cas des ouvrages
du général Sundarji, un ancien chef d'état-major indien
et du général Arif, un ancien vice-chef d'état-major
de l'armée de terre pakistanaise. Certains officiers ont aussi écrit
des romans sur fond de guerre nucléaire entre l'Inde et le Pakistan.
Les principaux auteurs d'études sur la sécurité, extérieurs
à la zone, sont anglo-saxons. Un excellent livre va sortir prochainement
sur l'histoire de l'armée pakistanaise. Il a été écrit
par un ancien attaché de défense australien au Pakistan,
un expert du sous-continent.
La référence kautilyenne
En fait, pour discourir sur la situation stratégique de
l'Inde actuelle, référence peut être faite à
Kautilya, stratège indien qui vivait à l'époque de
l'empire Maurya, donc avant notre ère. Son ouvrage, "Arthashastra"
s'assimile à un traité politique. Il décrit fort bien
les relations que l'Inde est susceptible d'entretenir, sur le plan théorique,
avec ses voisins et avec les voisins de ses voisins. Il analyse aussi les
mécanismes du fonctionnement de l'Etat, sans oublier la nécessité
pour les dirigeants de se renseigner sur les ennemis potentiels. Kautilya
précède Machiavel qui ne semble pas avoir eu connaissance
de ses úuvres. D'autres ouvrages savants de ce type ont aussi vu le jour
en Inde du Sud, en région tamoule. Kautilya que l'on appelle aussi
Chanakya a donné son nom au quartier diplomatique de New-Delhi,
Chanakyapuri, la ville de Chanakya.
Kautilya avait raison. L'Inde nouvellement indépendante
a craint d'être encerclée. Pas tellement Nehru, d'ailleurs,
mais plutôt les militaires. La Chine, vaste et puissante, constituait
une menace au Nord et pratiquait, dans une certaine mesure, une manoeuvre
d'encerclement par le Pakistan qui comprenait, au moment de la partition
du sous-continent, deux ailes, à l'Ouest et à l'Est. Sa politique
ne manquait pas d'agressivité, comme par exemple la prise de possession
d'une partie du Cachemire indien dans les années 1950. Lors du conflit
sino-indien de 1962, dans l'Himalaya, elle a montré sa force, surtout
dans le Nord-Est, face à une armée indienne sous équipée,
mal commandée et mal entraînée.
Kautilya écrivait que l'Inde pouvait trouver des amis au
delà de ses voisins. Il raisonnait par cercles concentriques. Les
voisins des voisins de l'Inde pouvaient devenir des alliés. De fait,
l'Inde a pu trouver un allié de poids au delà de la Chine
en l'URSS d'alors. L'Afghanistan était aussi courtisé, non
sans succès. En effet, Kaboul n'avait pas reconnu la création
du Pakistan en 1947 parce qu'il n'admettait pas les frontières définies
unilatéralement par le pouvoir colonial britannique. Une certaine
entente avec l'Iran était aussi recherchée ; les succès
furent mitigés. |
La situation en avril 1998
Où en sommes-nous ?
Inde-Chine
L'Inde, en annexant le Sikkim en 1975, a empêché
la création d'un vaste ensemble himalayen regroupant le Népal
et le Bhoutan qui aurait pu tomber sous l'influence chinoise. La Chine
s'est certes rapprochée de l'Inde en acceptant des mesures de confiance
et de sécurité. Mais elle n'abandonne pas ses prétentions
territoriales, au Nord du Cachemire et dans l'Arunachal Pradesh. Elle demeure
une grande puissance militaire, qui se modernise avec des équipements
sophistiqués que lui vend la Russie. Son arsenal se diversifie,
y compris dans le domaine naval, pour une action semble-t-il en mer de
Chine du Sud. Mais la Chine continue sa politique d'encerclement de l'Inde,
même si elle n'envisage nullement d'action militaire en Asie du Sud
et dans l'Océan Indien. Du moins, telle est la perception indienne.
La Chine poursuit son aide militaire au Pakistan, se classe en tête
parmi les fournisseurs d'armes au Bangladesh et se montre très présente
en Birmanie, en installant même dans les îles Cocos des stations
d'écoutes et de repérages (dans le double but de suivre les
mouvements de navires dans les abords des îles Andaman et Nicobar
et d'analyser les tirs de missiles lancés à partir de la
côte Est de l'Inde).
Inde-Pakistan
Pour le Pakistan, l'Inde paraît vaste, de plus en plus peuplée,
toujours aussi agressive, notamment au Cachemire. L'arrivée au pouvoir
à New-Delhi, crainte à plusieurs reprises, du parti nationaliste
hindou est devenue une réalité.
Aujourd'hui, les différends indo-pakistanais sont presque
les mêmes qu'en 1947. Les trois guerres qui ont opposé les
deux pays en 1947-1948, 1965 et 1971 n'ont pas réglé le problème
du Cachemire qui reste une pomme de discorde.
Cependant deux faits méritent d'être signalés.
- tout d'abord, l'éclatement du Pakistan en 1971 et la création
du Bangladesh suppriment un front pour l'Inde qui devait auparavant envisager
de se battre contre les deux ailes du Pakistan.
- ensuite, depuis le début des années 1990, la diminution
de la solidité des alliances. L'Inde continue certes d'acheter des
équipements russes mais le traité d'amitié qui avait
cours avec l'Union Soviétique a disparu. Le Pakistan conserve l'amitié
de la Chine mais celle-ci pourrait faiblir quelque peu pour des raisons
de politique générale et en partie à cause du soutien
accordé par des factions extrémistes pakistanaises aux militants
indépendantistes ouïgours du Xinjiang. De plus, il a perdu
son allié américain depuis le départ d'Afghanistan
de l'armée rouge et l'effondrement soviétique. Les alliances
se sont diluées et les Etats régionaux se retrouvent seuls
face à face.
Les escarmouches entre forces armées indiennes et pakistanaises
qui se produisent sporadiquement sur la ligne de contrôle au Cachemire
et plus au Nord sur le glacier du Siachen ne dégénèrent
toutefois pas en guerre. Des mesures de confiance existent entre l'Inde
et le Pakistan (échanges d'informations, dialogues entre les états-majors
centraux, entre les commandants locaux sur la frontière internationale
et sur la ligne de contrôle au Cachemire, ...). L'existence très
vraisemblable d'armes nucléaires dans les deux pays explique sans
doute l'état de non-guerre qui prévaut depuis 1971, c'est
à dire depuis 27 ans. Une véritable dissuasion nucléaire
joue.
Tensions au Sud
Des tensions nouvelles sont aussi apparues dans la partie Sud
du sous-continent. L'île de Sri Lanka est devenue, depuis 1983, le
théâtre d'un conflit sanglant entre la communauté majoritaire
bouddhiste cingalaise et la minorité hindoue tamoule . Une organisation
militantiste tamoule (les "Liberation Tigers of Tamil Eelam") mène
une guérilla sans merci pour l'indépendance des provinces
Nord et Est. Pour tenir compte des aspirations de sa propre minorité
tamoule, au Tamil Nadu, l'Inde s'est laissée entraîner dans
la guerre civile de 1987 à 1990, en engageant jusqu'à 60.000
hommes. Cette intervention n'a apporté aucune contribution à
la résolution du conflit ; elle n'a fait qu'assombrir les relations
entre New-Delhi et Colombo. L'Inde est aussi intervenue, en 1988, dans
l'archipel des Maldives pour restaurer le pouvoir du président.
Ces actions montrent son désir de contrôler la situation sur
le flanc Sud et d'interdire toute ingérence étrangère
dans sa zone d'influence.
Gestion de l'eau
L'eau pourrait provoquer des tensions un peu partout en Asie du
Sud. Le partage des eaux du bassin de l'Indus a certes été
réglé par un accord signé par l'Inde et le Pakistan
en 1960 ; trois rivières peuvent être aménagées
par l'Inde, l'Indus et un de ses affluents, la Jhelum peuvent l'être
par le Pakistan. L'accord est globalement appliqué, à l'exception
notable du projet de construction d'un barrage par l'Inde sur la Jhelum,
près de Srinagar au Cachemire. L'accord intervenu en 1996 entre
l'Inde et le Bangladesh sur le partage des eaux du Gange ne semble pas
régler totalement le contentieux entre les deux pays. Par ailleurs,
certains désaccords subsistent entre l'Inde et le Népal pour
l'aménagement de quelques rivières.
Montée des périls intérieurs
La faiblesse des Etats, à New-Delhi comme à Islamabad,
à Dacca, à Colombo encourage les régionalismes et
les tensions religieuses. Ceux-ci se manifestent parfois de façon
violente, comme il y a quelques années au Punjab indien, au Cachemire,
en Assam en ce qui concerne l'Inde. Des troubles agitent aussi le Pakistan,
dans le Sind où existent des tensions entre Sindhis et Mohajirs
(immigrés et descendants d'immigrés de l'Inde), au Punjab
où s'affrontent, de plus en plus semble-t-il, extrémistes
sunnites et chiites. Des mouvements sécesssionistes agitent les
" Chittagong Hills tracts " au Bangladesh. Aucune solution politique n'apparaît
pour mettre fin à la guerre civile entre Cingalais et Tamouls, qui
déchire le Sri Lanka.
Ces conflits intérieurs connaissent des ramifications internationales
en Asie du Sud et parfois au delà. Certains Etats voisins cherchent
à se déstabiliser mutuellement en utilisant les vulnérabilités
internes ; les services de renseignements ne relâchent pas leurs
activités. La guerre froide continue de sévir en Asie du
Sud.
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