TENSIONS EN MER DE CHINE MERIDIONALE
 
 
Etienne HIRSCH1 
Diplomé de l'Université Paris V (DEA "Prospective Internationale"), Etienne Hirsch suit actuellement des enseignements du Mastère Spécialisé HEC "Maîtrise des risques internationaux".
 
 Introduction 
  
"The China seas north and south are narrow seas. They are full of everyday, eloquent facts, such as islands sand-banks, reefs, swift and changeable currents – tangled facts that nevertheless speak to a seaman in clear and definite language”
Joseph Conrad, Typhoon and other stories.
  
Près d’un siècle nous sépare des mots de Conrad sans qu’ils n’aient perdu de leur véracité. Ils ne sauraient cependant rendre pleinement compte des périls qui menacent désormais le flot croissant du trafic maritime en Extrême-Orient. De fait, la mer de Chine,  “nid des dragons”2, constitue à ce jour une zone majeure de tensions. 

Le détroit de Formose délimite deux espaces marins distincts. Tout d’abord, la mer de Chine orientale, qui s’étend jusqu’au détroit de Tshushima, borde les côtes chinoises, la péninsule coréenne et la frange méridionale de l’archipel nippon. Ensuite, la mer de Chine méridionale, bassin océanique semi-fermé d’une superficie avoisinant  3 700 000 km², lové entre la péninsule indochinoise et les archipels philippin et indonésien3. Le détroit de Formose correspond également au seuil de deux axes de tension. L’arc septentrional, dont l’épicentre est la Corée du Nord et qui s’étend jusqu’aux confins de la mer du Japon, procède essentiellement de la guerre froide et s’est progressivement stabilisé4. Le second axe, dont l’origine remonte à la deuxième guerre d’Indochine, n’a cessé de croître et englobe aujourd’hui les rives de la mer de Chine méridionale. 

Seul ce second axe concerne essentiellement l’espace maritime. L’enjeu est la mer de Chine méridionale elle-même, revendiquée en totalité ou partie par ses Etats riverains. La mer de Chine méridionale est ainsi devenue l’étendue maritime la plus instable du globe. Un deuxième critère de différenciation concerne la nature des griefs : les revendications en mer de Chine du Sud sont motivées par des impératifs économiques, qu’elles soient justifiées par l’Histoire ou le droit. L’héritage idéologique de la guerre froide, caractéristique de l’axe septentrional, n’a aucune prise sur le comportement des protagonistes. Enfin, alors que le théâtre septentrional est sanctuarisé par l’arme nucléaire et la présence continue du contingent américain, celui de la mer de Chine méridionale obéit encore à la logique des rapports de force conventionnels, sans interposition militaire de la dernière grande puissance. Le climat géopolitique en mer de Chine du Sud est donc particulièrement volatile, et ses issues incertaines. 

Le présent article procède à l’étude des tensions en mer de Chine méridionale. La première partie présente un espace maritime devenu l’enjeu des rivalités étatiques. La deuxième section est consacrée à l’étude du principal contentieux, à savoir celui des îles Spratly. La dernière section évoque les principaux scénarios plausibles de règlement du contentieux ainsi que leurs incidences à l’échelle de la mer de Chine méridionale et de la région. 

Jeux de mots 

Considérer la mer5 de Chine méridionale telle une “Méditerranée asiatique6” est sujet à caution. La mer de Chine du Sud ne se situant pas “entre deux grands blocs continentaux7, Yves Lacoste préféra distinguer un espace méditerranéen fondé sur les “interrelations existant entre de multiples pays situés autour d’une étendue maritime de l’ordre de 4000 km de longueur8

En Asie du Sud-Est, la notion de “Méditerranée asiatique” semble obscure voire non avenue9. Elle se heurte à la fragilité de la notion d’identité asiatique, à l’opposition nationaliste vis à vis de toute idée de communauté maritime et enfin à la transcendance de l’Etat sur la région10. Ces différents obstacles expliquent notamment la difficile genèse d’un processus de règlement multilatéral du conflit des îles Spratly11

Comment parler de “Méditerranée asiatique” alors que le toponyme “mer de Chine méridionale” est l’objet d’une controverse régionale ? On assiste aujourd’hui à une récupération politique de cette expression lourde de sens: la querelle sémantique n’est que l’expression de griefs territoriaux. L’imbroglio est porté à son comble quand on sait, au regard de l’Histoire, que la souveraineté s’exprimait dans le monde confucéen davantage sur les individus que sur les territoires. Les appellations chinoises de l’actuelle mer de Chine méridionale varièrent dans le temps sans qu’y soit introduit une notion d’appropriation. A ce jour, l’adjonction du nom “Chine” n’est contestée que par le Vietnam qui préfère le toponyme “mer orientale”. 

L’impérialisme cartographique12  n’apporte aucun élément de réponse à la brûlante question de la souveraineté en mer de Chine méridionale. Certains nationalistes chinois considèrent cependant l’argument comme fondamental : “Comme le nom l’indique, cette magnifique expression mer de Chine du Sud n’a pas été choisie par les colonialistes par amour de la Chine, mais constitue bien plutôt une reconnaissance formelle d’un fait historique objectif13 . Incidemment, ces propos furent formulés en réponse à la proposition de baptiser la mer de Chine méridionale “mer de l’ANSEA”… 

 
Géographie de la discorde 

Le battage médiatique orchestré autour de la question des îles Spratly (Nansha Qundao) tend à occulter la survivance de sérieuses querelles territoriales ainsi que l’apparition sporadique de nouvelles zones de tension en mer de Chine méridionale (carte 1). 

Au palmarès des contentieux territoriaux figure en bon second le différend mettant aux prises le Vietnam, la Chine Populaire et Taiwan autour de l’archipel des Paracel (Hsisha Qundao). Celui-ci, s’étirant sur une superficie de 46 000 km² environ, borde la route maritime reliant les deux principaux ports régionaux : Singapour et Hong-Kong. Les protagonistes arguent tous de titres historiques et ont tour à tour contrôlé partie ou totalité de l’archipel. Le conflit a atteint son paroxysme en 1974, quand les troupes de l’Armée Populaire de Libération (APL) ont expulsé manu militari les garnisons sud-vietnamiennes stationnées dans la zone sud de l’archipel. Depuis, Pékin transforme l’archipel en base aéronavale avancée. La RPC revendique également la souveraineté sur le banc Macclesfield (Zhongsha Qundao). Toujours dans la frange septentrionale de l’espace maritime, les troupes de la République de Chine contrôlent l’archipel des Pratas (Dongsha Dao) ainsi que les îles Pescadores (Penghu Qundao). Pékin revendique ces formations au même titre que Taiwan. 

La troisième zone de tension insulaire correspond aux parages de l’île Natuna Besar14. Le différend provient du chevauchement des zones économiques exclusives (ZEE) indonésienne et vietnamienne sur une distance de 160 km. Hanoi et Jakarta se disputent l’exploitation de cette zone et n’ont pas hésité à octroyer des concessions pétrolières à des Etats tiers. La tension est d’autant plus vive que Pékin manifeste ouvertement son intérêt pour ces champs pétrolifères qu’elle considère inclus dans la limite méridionale de ses “eaux historiques”15

Les deux principaux golfes de la mer de Chine méridionale sont également le théâtre de revendications territoriales. La question des eaux du golfe de Thaïlande oppose l’ensemble de ses riverains. L’adoption du principe d’équidistance dans la détermination des eaux territoriales est entravée par le développement des activités offshore. Cependant, aucun conflit armé n’est à déplorer à ce jour. Bangkok et Kuala Lumpur ont notamment convenu de confier la résolution de leur différend à une instance officielle bilatérale16. En revanche, plusieurs des îles frontalières ont fait l’objet de démonstrations de force17. Concernant le golfe du Tonkin, le litige repose sur l’interprétation de la Convention sino-française du 26 juin 1887. Pékin considère que le tracé, établit le long de la longitude 105°43’ à l’est de l’ancien méridien de Paris18, ne concerne que l’île de Bach Long Vi et autres formations minimes. A l’inverse, Hanoi assimile ce tracé à une frontière et revendique à ce titre les deux tiers des eaux du Golfe. L’exploitation pétrolière des eaux litigieuses et la guerre de 1979 ont empêché toute solution négociée19. Hanoi redoute toujours l’exploitation du tracé par la Chine pour asseoir ses revendications maritimes. 

Au-delà des golfes et leurs embouchures, l’ensemble des sites pétroliers offshore localisés dans les “eaux historiques” chinoises devient une source de conflit potentielle. Les incidents de Than Long puis Wan’an Bei constituent deux exemples académiques20. On en vient presque à se demander s’il existe une zone sûre en mer de Chine méridionale : le récent incident de Scarborough Reef (7 mai 1997) démontre que les risques de dérapage concernent désormais n’importe quelle activité en mer. En cas d’accalmie, ce sont les pirates qui prennent le relais21… 

Des enjeux vitaux 

La fin de la bipolarité donne le terrible sentiment que des dynamiques contradictoires sont désormais à l’œuvre en mer de Chine méridionale. La succession de crises aussi spontanées qu’intenses laisse croire que la sphère de coprospérité bâtie autour de l’espace maritime vacille mais, dans le même temps, le développement croissant des échanges commerciaux régionaux et la multiplication des tentatives de médiation contrebalancent tant bien que mal ces dérives. En d’autres termes, la situation en mer de Chine méridionale est devenue intrinsèquement turbulente22. Or, l’essence d’une crise majeure réside dans son imprévisibilité23

Selon Mitchell, un conflit correspond à  “toute situation dans laquelle deux ou plusieurs entités sociales ou parties prennent conscience de l’incompatibilité de leurs objectifs mutuels24.  En mer de Chine méridionale, c’est la proclamation par les Etats riverains de nouvelles juridictions maritimes qui a rendu inévitable la confrontation de leurs intérêts stratégiques et économiques. 

Selon le ministre des Affaires Etrangères indonésien, Ali Alatas : “The strategic importance of the South China Sea is… beyond question. As a semi-enclosed sea linking the Pacific and Indian Oceans and located between continental Asia and insular South-East Asia, it encompasses important sea lanes of communication and, indeed, the Straits of Malacca and Singapore at its southern entrance rank among the busiest straits in the world25. L’exiguïté et la fragmentation de l’espace maritime révèlent les limites du Droit de la mer, empêchant l’instauration d’un ordre juridique stable dans une zone où transitent 25% de la production pétrolière mondiale26 et 90% de l’énergie importée par le Japon27

L’hypothèse d’une déstabilisation majeure des voies de communication maritimes apparaît d’autant plus crédible qu’à la différence de l’Europe Occidentale, la fin de la bipolarité a généré un regain de tension en Asie du Sud-Est. La mer de Chine méridionale est désormais livrée aux antagonismes de puissances moyennes au nombre desquelles la Chine, libre de toute menace frontalière, fait figure de principal perturbateur. A la volonté de Pékin et de Taipeh de transformer le bassin maritime en un “lac chinois”, l’ANSEA ne peut opposer qu’une diplomatie balbutiante. Incidemment, cette résurgence de l’activisme chinois survient dans le contexte des différents programmes de réduction du dispositif militaire régional américain28. La crise de confiance qui en résulte ébranle l’ensemble du réseau d’alliances établi par les Etats-Unis et conforte les Etats riverains la mer de Chine méridionale dans leurs politiques de réarmement. 

Le second point d’achoppement des intérêts étatiques réside dans l’appropriation et la mise en valeur des ressources naturelles de l’espace maritime. La première conséquence est l’appauvrissement accéléré de ressources halieutiques pourtant considérables. De surcroît, l’hétérogénéité des façades littorales accentue les écarts de productivité par zone et par Etat : certains d’entre eux s’estiment ainsi économiquement et politiquement lésés. La compétition économique dégénère souvent en concurrence déloyale, les ZEE étant régulièrement violées et les bâtiments de pêche arraisonnés. La pêche est devenue un des arguments de prédilection auquel recourent les gouvernements pour asseoir leurs revendications territoriales. 

La seconde conséquence est encore plus préoccupante puisqu’elle explique à elle seule la radicalisation du comportement des protagonistes sur le terrain : le potentiel énergétique offshore fait l’objet des plus extrêmes spéculations29. Le “miracle asiatique” induit en effet une consommation énergétique effrénée dont les tenants et aboutissants sont résumés dans le tableau suivant30
 
Etat
Dépendance énergétique (%)
Consommation ÷ production (milliers de barils / jour)
 Réserves estimées à production constante (années)
Importations pétrolières (milliards US$ /an)
Indonésie
-62,3
+840
12,2
2,1
Malaisie
-105,6
+415
12,5
1,5
RPC
-4,6
+405
22,6
2,1
Brunei
-
+165
33,2
-
Vietnam 
8,5
+72
19,0 
0,5 
Taiwan 
44,6
-570
?
3,9
Thaïlande 
58,1
-440
?
3,3
Singapour 
100
-380
11
9,3
Philippines 
75,8
-225
 ?
2,0
Japon 
95,4
-5 282
11,6
30,1
 
 L’Indonésie, Brunei et la Malaisie disposent actuellement d’un surplus énergétique et exportent sur l’ensemble de la région. L’exploitation de nouveaux gisements offshore permet au Vietnam de réduire progressivement sa dépendance énergétique31. Les forages entrepris avec succès sur le plateau continental de Palawan permettent aux Philippines de caresser l’espoir de devenir à moyen terme exportateur net. Cependant, Singapour comme la Thaïlande demeurent les principaux importateurs d’Asie du Sud-Est et ont peu d’espoir de voir cette situation évoluer. 

La situation de l’Indonésie est à terme extrêmement préoccupante. En 1977, sa production pétrolière culminait à 82,9 millions de m3 mais elle connaît un déclin continu depuis. En 1990, le niveau de sa production n’atteignait plus que 85% de celle de la fin des années 70. Il faudrait forer annuellement 200 puits supplémentaires pour que l’Indonésie puisse maintenir sa production au niveau actuel. L’exploitation gazière échappe au marasme grâce aux gisements proches des îles Natuna, estimés à 1,3 milliards de m3. Cependant, ces gisements ne seront pleinement opérationnels qu’en 2002 et la qualité du gaz est minimisée par sa forte teneur en CO2

Depuis le début des années 1990, les exportations pétrolières chinoises sont en constante régression32. En 1993, la RPC consommait plus de deux millions de barils par jour et sa demande de pétrole raffiné affichait un taux de croissance annuel avoisinant les 20%33. Pourtant, la consommation actuelle de la RPC est minimale. A l’horizon 2000, la consommation totale du pays sera équivalente à celle de l’ensemble des nations européennes de l’OCDE. L’accroissement continu de la demande énergétique pose ainsi la question de l’approvisionnement : le bassin du Taching voit sa production stagner, celui du Tarim est estimé à plus de 250 millions de barils mais son coût d’exploitation est colossal, le barrage des Trois Gorges est onéreux et implique le déplacement de 1,4 millions d’individus… Autant de raisons pour légitimer l’activisme de Pékin en mer de Chine méridionale. 

Les estimations des ressources énergétiques fossiles en mer de Chine méridionale sont à manipuler avec précaution. En 1985, les experts chinois estimaient le potentiel en hydrocarbures à 65 milliards de tonnes dont 16 milliards pour la seule zone du récif James34. Quatre années plus tard,  ces mêmes réserves n’étaient estimées qu’à 18 milliards de tonnes. Certains experts occidentaux n’hésitent pas à démentir l’existence d’un eldorado pétrolier dans les Spratly35. De surcroît, le coût d’exploitation et les limites technologiques concernant les forages sous-marins réduisent à 20% la quantité de pétrole exploitable par gisement aux abords de l’archipel. La majorité des experts place davantage d’espoirs dans les gisements localisés aux abords des façades littorales de la mer de Chine méridionale36. Cependant, la Chine demeure convaincue – à l’instar des autres protagonistes du conflit des Spratly – que la mer de Chine du Sud recèle de vastes mannes énergétiques37

 
L’œil du cyclone : le conflit des îles Spratly 

La formation des Spratly38  (cf. carte 1) dissémine ses quelques dizaines d’îlots et récifs sur plus de 180 000 kilomètres carrés39. L’archipel stricto sensu comprend entre 12240 et plus de 40041 îlots, récifs, bancs et hauts-fonds coralliens pour une superficie émergée n’excédant pas 170 hectares. 
 
Avec l’entrée en vigueur du Droit de la mer, le contentieux des Spratly a pris des proportions considérables. Le chevauchement des ZEE a été aggravé par les dispositions de l’article 121 (titre 8) de la Convention de Montego Bay. Celui-ci rend possible l’extension des ZEE à partir d’îles ou d’îlots, à la seule condition que ceux-ci se prêtent à l’habitation humaine ou à une “vie économique” propre. Ainsi, à la question de la souveraineté sur cet archipel ingrat s’est greffée celle de la possession d’espaces maritimes hautement stratégiques. Chaque Etat riverain mène ainsi sa propre croisade défendant ses revendications manu militari au besoin. L’agitation nationaliste ainsi que les fantasmes d’un eldorado pétrolier offshore ne font qu’envenimer la situation. 

L’archipel est plus connu des navigateurs sous le nom évocateur de “fonds dangereux”. La frange occidentale de l’archipel (dénommée “Western Banks”) figure parmi les zones les moins profondes de la mer de Chine méridionale42. L’archipel constitue un obstacle majeur pour la navigation, canalisant le trafic maritime de tonnage important le long du plateau continental vietnamien. 

On prend alors toute la mesure des conséquences stratégiques induites par l’application de l’article 121. Qui aurait main basse sur les Spratly disposerait d’un droit de regard sur le trafic maritime transitant par l’Océan Indien et via les divers détroits de la mer de Chine méridionale43. Militairement, le contrôle de l’archipel doterait les forces occupantes de possibilités de projection de puissance accrues ainsi que la capacité de surveiller l’ensemble des couloirs aériens du bassin maritime44 : “A glance at a chart shows what Chinese control of the Spratly Islands would mean to the maritime interests of the United States and our Asian friends. Naval bases capable of supporting submarines and surface combatants in the Spratlys would provide China with a capability to monitor and interdict shipping of any nationality transitting the South China Sea. Chinese maps show claims to almost the entire South China Sea. It is not only the japanese who should be concerned about such claims, but any nation whose trade moves by ship through the region […]45

Géopolitique des acteurs 

Chine. La Chine n’est pas une puissance de statu quo : elle revendique un rôle accru sur la scène internationale et n’accepte pas complètement l’ordre géopolitique de l’après-guerre froide. En proie à des  dynamiques internes contradictoires46, elle se fédère autour du culte de la grandeur chinoise, rappelant ainsi la Prusse de Bismarck : “like late nineteenth century Germany, a country growing too big and too strong for the continents it finds itself on47. Dans la psyché chinoise, les revendications en mer de Chine méridionale s’appuient sur le principe “territory once won for civilization must not be given back to barbarism48. Cette conception “grand Han” de l’espace régional se retrouve dans la “carte en U” comme dans l’argument récurrent d’une Chine bafouée par l’impérialisme étranger49. Le recours au concept d’espace vital (shengcung kongjian)50, officialisé par la loi du 25 février 1992, contredit la Convention de Montego Bay que Pékin ratifia pourtant en mai 1996. Dans le même temps, l’APL fourbit ses armes. Le credo de l’état-major se résume en quatre termes : zongti fanqwei, zhongdian fashan (renforcer la puissance nationale pour défendre la sécurité, insister sur la stratégie et la technologie)51. Les stratèges chinois assimilent, depuis 1986, les Spratly à un conflit local de moyenne intensité (concept du juhu zhanzheng ou guerre locale)  ce qui correspond avec l’adoption par la marine militaire de la stratégie “front dégagé, arrières renforcés” (qian qing hon zhong)52 : l’accroissement de la projection de puissance est devenu prioritaire. La question concernant l’attitude de la Chine devient par conséquent “jusqu’où ?” plutôt que “pourquoi ?”. 

Taiwan. En vertu de la politique des “trois non” (aucun contact, aucune négociation, aucun compromis), Taipeh et Pékin demeurent frères ennemis53. Aussi, Taiwan poursuit le renforcement de son dispositif militaire et plus particulièrement de sa marine de haute mer. Il existe en revanche un accord tacite entre les deux gouvernements au sujet des revendications en mer de Chine méridionale. Tous deux revendiquent la quasi-totalité de l’espace maritime, nonobstant des variations dans la délimitation de la frontière historique ainsi que dans l’argumentation54. Cette “union sacrée” explique que la garnison taiwanaise occupant Itu Aba ne fut jamais inquiétée par l’APL. Lors de l’affrontement naval qui opposa Pékin à Manille, en mars 1995, la garnison de Itu Aba aurait même ouvert le feu sur un navire vietnamien55

Vietnam. L’histoire politique vietnamienne reste étroitement liée à celle de la Chine, ennemi ancestral et suzerain millénaire. Les prétentions vietnamiennes sur l’intégralité des Paracel et des Spratly se fondent sur des arguments historiques tout aussi ambigus que ceux avancés par la Chine. De surcroît, Pékin et Hanoi s’opposent sur le partage des eaux du golfe du Tonkin. Hanté par le souvenir de l’annexion des Paracel, en 1974, et l’irruption de l’APL dans les Spratly, Hanoi n’a eu cesse de chercher à renforcer sa présence dans les zones litigieuses. A l’occupation de nouveaux îlots, le gouvernement vietnamien préféra finalement l’octroi de concessions pétrolières offshore à des compagnies étrangères. Consciente des faiblesses structurelles de son armée, Hanoi se décida également à jouer la carte diplomatique56. La fin de l’isolement vietnamien débuta par une manifestation de bonne volonté : Hanoi engagea, en 1992, des pourparlers en vue de la normalisation de quelques contentieux territoriaux mineurs existant avec la Malaisie et l’Indonésie. Le Vietnam put ainsi intégrer l’ANSEA en moins de temps qu’il ne le fallut pour le croire. Cette précipitation confirme les motivations géopolitiques de Hanoi et l’existence d’une psychose de la Chine à l’échelle régionale57. Derrière le bouclier de l’ANSEA, Hanoi espère contrer les appétits territoriaux chinois en s’assurant de l’appui des Etats membres. Cette stratégie s’est avérée efficace lors de l’incident de la plate-forme Kan Tan III, remorquée par Pékin dans l’embouchure du golfe du Tonkin en mars dernier. 

Indonésie. L’Indonésie n’a pas de griefs à formuler concernant les îles Spratly, mais l’île Natuna ainsi que les champs pétrolifères adjacents figurent dans les “eaux historiques” revendiquées par la Chine. Afin de garantir la sécurité de cette zone, le gouvernement indonésien n’a pas hésité à demander officiellement à Pékin d’expliciter ses revendications. Devant le mutisme chinois, l’armée indonésienne assure désormais des patrouilles régulières dans le secteur litigieux. Jusqu’à présent, l’Indonésie était considérée comme le principal promoteur d’une solution multilatérale mais sa crédibilité est remise en cause par Pékin. Par ailleurs, les pourparlers entrepris pour résoudre le contentieux maritime existant avec Hanoi pourraient aboutir à une déclaration commune, niant la frange méridionale de la courbe “en U”. Enfin, depuis la crise de Mischief Reef, Ali Alatas a fait officiellement part de ses inquiétudes concernant les agissements de Pékin et recherche le soutien de la communauté internationale pour une solution négociée. 

Philippines. Malgré la modernisation progressive de leur flotte, les Philippines ne disposent pas de moyens militaires susceptibles d’assurer efficacement la défense du Kalayaan, l’espace revendiqué au large de l’île Palawan. Le Traité de défense mutuelle signé avec les Etats-Unis58 ne concernant que le territoire métropolitain de chacun des signataires59, Manille ne dispose pas de réel potentiel dissuasif pour défendre ses possessions60. L’incident de Mischief reef, les accrochages de janvier 1996 puis d’avril 1997 ont pourtant donné l’occasion au gouvernement d’afficher sa volonté de défendre sa ZEE et le Kalayaan, sans pour autant renforcer la crédibilité militaire du pays. Aussi, Manille a-t-elle constamment soutenu les efforts de Jakarta et sollicité à plusieurs reprises l’arbitrage américain. De tous les protagonistes, Manille est indubitablement celui qui a le moins d’intérêt à vouloir accroître le nombre de ses possessions61

Malaisie. Les médiations indonésiennes ont été accueillies avec une grande réserve en Malaisie. La proposition chinoise d’exploitation conjointe risquant d’inclure les champs pétrolifères situés au large du Sarawak, Kuala Lumpur ne pouvait se permettre d’accorder son soutien aux initiatives de Jakarta. Récuser l’approche multilatérale constituait en effet le meilleur moyen d’ignorer les revendications chinoises et de s’opposer du même coup aux griefs du Brunei. Par ailleurs, fragilisée par le désengagement américain, la Malaisie soupçonnait Jakarta de vouloir exploiter la zizanie régionale. Le point de vue malaisien a pourtant évolué vers l’acceptation du principe multilatéral, mais non de négociations officielles. Cependant, au lendemain de Mischief reef, les plaidoyers pacifistes du premier Ministre Mahatir bin Mohamad n’empêchèrent pas la flotte malaisienne d’ouvrir le feu sur un chalutier chinois, blessant quatre membres de son équipage. 

Brunei. Le sultanat ne dispose que d’une façade littorale avoisinant 130 km. Le tracé de ses frontières maritimes remonte à 1958 et correspond sans grande précision aux principes d’équidistance. La redéfinition de l’espace maritime malaisien a permis au Brunei de revendiquer l’extension de ses frontières maritimes jusqu’à la ligne médiane des lignes de base du sultanat et du Vietnam. C’est en vertu de cette projection que le Brunei revendique la souveraineté sur Louisa reef. Les pourparlers bilatéraux qui se tiennent depuis 1987 n’ont toujours pas abouti. Le Brunei revendique également une ZEE qui lui permettrait d’accéder à de nouveaux champs pétrolifères, aux dépens de la Malaisie. Le Brunei est le seul protagoniste du contentieux des Spratly qui n’occupe aucune île. 

Etats-Unis. A ce jour, Washington s’est surtout employé à ne pas intervenir dans le contentieux62. La position américaine peut-être résumée en quatre points63. 1/ Les Etats-Unis sont favorables à un règlement pacifique. 2/ Washington s’oppose formellement à toute menace ou action militaire pour faire valoir des revendications. 3/ Washington demeure impartial et se tient à la disposition des parties pour faciliter une solution pacifique64. 4/ Les Etats-Unis considèrent le maintien des voies de communication maritimes comme une priorité stratégique. Washington est par conséquent favorable aux principes d’une exploitation conjointe ainsi qu’au développement d’une “diplomatie informelle” (track two diplomacy). La position officielle est loin de faire l’unanimité au sein de l’establishment américain65: Mischief reef suscita davantage d’émois que l’annexion des Paracel onze années auparavant66. Pourtant, face aux gesticulations chinoises, Washington hésite : la voie médiane entre acquiescement tacite et containment est ardue à trouver. Le déploiement de la flotte américaine lors de la crise taiwanaise de mars 1996 n’a pas levé les doutes : “It remained unclear, and indeed a major uncertainty for the future, whether China was constrained from attacking Taiwan by an understanding that the United States would help Taiwan resist. The United States remained ambiguous about whether  it was offering Taiwan such a balance-of-power protection, but for the time being even such an uncertain deterrent seemed to be holding China at bay. Not even a strategy was on offer for those who might wish to resist China in the South China Sea67

Le tableau suivant classe les différentes revendications selon leur portée géographique. Les revendications “globales” considèrent l’archipel comme un espace homogène et indivisible. Les revendications “partielles”, ne concernent que le contrôle de quelques formations. 
 
 

Etat
Revendication
Argument principal
Portée
Possessions
RPC
Globale
Histoire
Mer de Chine méridionale
8
Taiwan
Globale
Histoire
Mer de Chine méridionale
1
Vietnam
Globale
Histoire
Archipel
21
Philippines
Partielle
Juridique
Kalayaan
8
Malaisie
Partielle
Juridique
Plateau continental
3
Brunei
Partielle
Juridique
Plateau continental
0
 
Perspectives de règlement 

Selon les critères de Mitchell, la situation prévalant dans les Spratly est un conflit “latent”. Les protagonistes admettent qu’ils ont des objectifs incompatibles mais ils renoncent encore à l’usage systématique de la force armée. La détérioration d’un conflit latent est imputable aux comportements de ses acteurs : plus les comportements sont conflictuels, plus le risque d’affrontement s’accroît. Le processus de transformation d’un conflit latent en crise ouverte a été décomposé selon quatre phases, éloquemment baptisées “steps of war68

1/ Perception des menaces. Elle est assimilable à la prise de conscience de “l’insupportable”69 et à la volonté de le combattre. Sur le théâtre des Spratly, l’ensemble des protagonistes, excepté Brunei, a déjà franchi ce seuil en positionnant ses troupes dans l’archipel. La transformation progressive des îlots en casernements atteste de la volonté des Etats de défendre leurs revendications. 

2/ Constitution d’alliances. Il convient d’écarter d’emblée le fantasme d’une alliance entre les “deux Chines”. Considérer l’ANSEA comme une alliance reviendrait à occulter la fragilité de sa cohésion et à transformer l’Association en ce qu’elle n’a jamais eu la prétention de devenir : un pacte militaire. Quant à son Forum Régional, il se veut impartial et principalement consultatif. Il est vrai que l’activisme chinois fédère les craintes des nations de l’ANSEA. Toutefois, leurs engagements mutuels sont limités. Hanoi n’a notamment jamais renoncé à ses prétentions sur les Spratly. Quant aux Etats membres, ils défendent en priorité leurs intérêts respectifs. Il ne fait en revanche aucun doute qu’il existe désormais un bloc tacite chinois opposé à bloc régional tout aussi vaporeux. Le principal mérite des blocs est de concentrer l’attention de leurs membres sur la menace adverse plutôt que sur leurs dissensions internes. 

3/ Développement d’une course aux armements. Cette tendance lourde procède de trois catalyseurs essentiels : la prospérité économique, la crainte de l’hégémonisme chinois et le désengagement militaire américain. Bien que cette dynamique soit minime au regard des critères occidentaux70, elle prend une dimension inquiétante dans une région instable71 où  le sentiment d’insécurité confine à la paranoïa72. La plupart des analystes s’accordent à penser que la modernisation des armées du sud-est asiatique n’aura pas d’incidence fondamentale sur l’équilibre stratégique régional avant une dizaine d’années. Les plus vives inquiétudes concernent en revanche la volonté affichée par Taipeh comme Pékin de renforcer leur potentiel aéronaval. Certains n’hésitent pas à évoquer le déploiement par Pékin d’une escadre de 3 porte-avions en mer de Chine du Sud, à l’horizon 201573.La montée en puissance de la Chine a un fort effet d’entraînement sur les politiques de défense des autres protagonistes. 

4/ Escalade. Elle survient ou est évitée selon l’aptitude des protagonistes à négocier. Trois configurations sont classiquement évoquées par la théorie des jeux : “Dilemme du prisonnier” (gagner > consensus > impasse > abandon), “Chicken” (poule mouillée) (gagner > consensus > abandon > impasse) et “Deadlock” (Impasse) (gagner > impasse > consensus >abandon). Ainsi, une situation de type “Deadlock” correspond à un jeu à somme nulle, le compromis ne pouvant au mieux servir qu’à expliciter l’échec de la négociation. Il demeure en revanche la solution optimale dans la configuration “Chicken”, même si l’escalade devient possible dans l’hypothèse ou un acteur sous-estime la détermination de son adversaire74. Tout au long de la négociation, chaque partie a tendance à exagérer ses réactions vis à vis de son adversaire tout en restant persuadé de la souplesse de ses propres arguments. Propositions et contre-propositions peuvent ainsi se radicaliser pour aboutir à la guerre. Le scénario inverse est tout aussi concevable et aboutir à un règlement consensuel. 

Dans le cas des Spratly, Pékin à recours à des stratégies mixtes. “Bully” (intimidateur) est une combinaison entre “Deadlock” et “Chicken” qui permet à Pékin d’exploiter la menace d’une impasse pour obtenir des concessions tout en rendant l’hypothèse d’une issue consensuelle irréaliste (proposition d’exploitation conjointe tributaire de la reconnaissance de la souveraineté chinoise). Ensuite, “Called Bluff”, qui combine “Dilemme du prisonnier” et “Chicken”. Ce schéma pose en particulier que la Chine est convaincue de son “capital terreur” et qu’elle pourrait imposer ses conditions à des adversaires de faible envergure (Le Brunei ou les Philippines) qui auraient plus à perdre en résistant. Ces attitudes n’aboutissent pas à une escalade car les différents protagonistes sont pleinement conscients des conséquences que provoquerait une crise militaire. De plus, Pékin a toujours eu la sagesse de laisser la tension retomber après chaque exaction, et d’exploiter ainsi une stratégie de fait accompli. 

Ouvrir la boite de Pandore 

Dans ces conditions, le statu quo actuel ne constitue qu’un sursis servant à terme les intérêts de Pékin75. Il existe néanmoins plusieurs raisons de demeurer optimiste : 

1/ Aucun Etat riverain de la mer de Chine méridionale ne disposera, d’ici la prochaine décennie, d’une capacité de projection de puissance à portée régionale. En outre, les Etats-Unis ne toléreront vraisemblablement pas le développement d’une puissance susceptible de menacer les voies communication maritimes. 

2/ Une conflagration armée contribuerait à aggraver la déstabilisation des systèmes financiers régionaux, à décourager les investissements étrangers et paralyser les flux de biens et services. En particulier, la façade méridionale de la RPC, ne peut prospérer sans les investissements et les flux commerciaux en provenance et à destination des Etats de l’ANSEA. 

3/ Dans l’hypothèse d’une crise militaire, le perturbateur court le risque d’être immédiatement frappé d’ostracisme. Un coup de force  manqué pourrait notamment tourner au désastre du fait de la proximité de garnisons ennemies en constant état d’alerte. 

La carte 2 présente les principales solutions d’allocation de l’espace maritime, en application des dispositions de la Convention de Montego Bay. 

1/  Allocation de la totalité de l’espace maritime selon le principe de lignes d’équidistance depuis les lignes de base revendiquées. 

Cette solution garantit l’attribution de superficies équivalentes aux quatre principaux protagonistes (Vietnam, les deux Chines et les Philippines). L’espace maritime du Brunei correspondrait aux  aspirations actuelles du sultanat et serait clairement délimité par les deux étendues bordières du Sabah et du Sarawak. Quant à l’Indonésie, elle serait maintenue dans ses droits vis à vis de l’espace Natuna. Cependant, la RPC serait tenue à l’écart de l’archipel des Spratly et renoncerait à la “courbe en U”. Un tel scénario est inconcevable à ce jour. 

2/ Allocation de la mer de Chine méridionale depuis les mêmes lignes de base mais avec application du principe de limitation des étendues maritimes à 200 miles marins de ces lignes de base et/ou des plateaux continentaux. Cette deuxième solution ne tient pas compte des archipels Paracel et Spratly dans le tracé des frontières maritimes. 

A la différence du premier scénario, apparaissent en marge des zones vietnamiennes, chinoises et philippines de vastes zones de haute mer qui seraient assimilées à des eaux internationales. Au sein de ces eaux figureraient la majeure partie des îlots actuellement occupés dans les Spratly. Cette solution ôte à Pékin le contrôle de la frange méridionale des Paracel ainsi que celui de la zone du banc Macclesfield. La superficie des eaux malaisiennes ne serait que très légèrement réduite alors que celle des eaux indonésiennes ne subirait pour ainsi dire aucun bouleversement notable. 

3/ Allocation de l’espace maritime selon le même principe, mais en tenant compte de l’archipel des Paracel dans le tracé de la ligne des 200 miles marins. 

Selon cette dernière hypothèse, Pékin conserve ses “droits” sur le banc Macclesfield, sur les Paracel. ainsi que sur une zone s’étendant jusqu’à la latitude de Danang. Le Vietnam voit son corridor d’accès au golfe du Tonkin considérablement restreint. 

Une dernière hypothèse en vue d’une exploitation conjointe de l’espace maritime, peut-être avancée. Il s’agirait du principe d’une autorité multilatérale habilitée à gérer les zones litigieuses pour l’ensemble des Etats. Une variante consisterait à confier chaque zone litigieuse à une société en participation, dans laquelle seraient représentées les différentes parties concernées76. Ces joint ventures seraient régies par une autorité de coordination (Spratly Coordinating Agency). Les bénéfices, dividendes et votes seraient en partie reversés à cette autorité de tutelle ainsi qu’aux Etats non impliqués dans les zones concernées. Cette solution, assez compliquée, impliquerait en outre que la RPC et Taiwan siègent au conseil d’administration des différentes sociétés ainsi que de l’autorité de tutelle. 

Conclusion

Ces hypothétiques solutions démontrent s’il en était encore besoin qu’il n’existe pas de fatalité en relations internationales, ni - à ce titre – de “syndrome ” en mer de Chine méridionale. Dans le contexte mouvant de l’après-guerre froide, il appartient aux nations riveraines de transcender leurs défiances traditionnelles et leur quête permanente d’intérêts exclusifs, pour entreprendre l’instauration d’un climat de confiance durable. Ce n’est que sur cette base que pourra se structurer autour de l’espace maritime une réelle sphère de coprospérité. A défaut de quoi, il deviendra rapidement impossible de “persuader la Chine qu’elle peut devenir une puissance économique mondiale de premier plan sans Taiwan ni les îles de la mer de Chine [méridionale]. Et [de faire] l’économie d’un troisième conflit, incontrôlable parce que mondial”77.

 
Notes

1.   Diplomé de l’Université Paris V (DEA «Prospective Internationale»), Etienne HIRSCH suit actuellement les enseignements du Mastère Spécialisé HEC «Maîtrise des Risques Internationaux». 
2.   André VIGARIE. La mer et la géostratégie des nations. Paris : Economica, 1995, p. 309-349. 
3.   Steven Kuang-tsyh YU. «Who owns the Paracel and Spratlys ? – An evaluation of the nature and legal basis of the conflicting territorial claims». Chinese Yearbook, 1990, p. 1-2. 
4.   Kent E. CALDER. Asia’s deadly triangle : how arms, energy and growth threaten to destabilize Asia-Pacific. Londres : Nicholas Brealey, 1996, p. 13-42. Pour une vision d’ensemble de la conflictualité en Asie-Pacifique, se reporter à Sheldon W. SIMON. «East Asian Security : the playing field has changed». Asian Survey, volume 34, n°12, décembre 1994, p. 1047-1063. 
5.   La distinction entre océans et mers s’établit selon le critère de la superficie et de la profondeur moyenne. Pour une typologie des mers, cf. J.M PERRES. «Océans et mers», p. 366-383 in : Encyclopaedia Universalis, tome XIII, Paris, 1985. 
6.   Hervé COUTAU-BEGARIE parle quant à lui de «Méditerranée d’Extrême-Orient» in : Géostratégie du Pacifique. Paris : Economica, 1987, p. 223. 
7.   Yves LACOSTE.  «Les deux Méditérranées». Hérodote, n°27, 1982, p. 5. 
8.   Yves LACOSTE (sous la dir. de). Dictionnaire de géopolitique. Paris : Flammarion, 1993, p. 995–1011. 
9.   Frédéric LASSERRE. «De la stratégie diplomatique au concept de région : représentation historique et conflit en mer de Chine du Sud». Relations internationales et stratégiques, n°27. Paris : Arléa / IRIS, automne 1997, p. 101-119. 
10.   Paul DIBB. Toward a new balance of power in Asia (Adelphi Paper n°295). Oxford : Oxford University Press / IISS, mai 1995. 
11.   Mark J. VALENCIA. China and the South China Sea dispute (Adelphi Paper n°298). Oxford : Oxford University Press / IISS, octobre 1995, p. 3. 
12.   R.D. HILL. «Fishing in troubled waters : some thoughts on territorial claims in the South China Sea», p. 1-8 in : Fishing in troubled waters. Hong Kong : University of Hong Kong, 1991. 
13.   LIHAI Zhao in : Frédéric LASSERRE. Le dragon et la mer. Montréal : L’harmattan.1996, p. 288. 
14.   Les îles Natuna sont aujourd’hui territoire indonésien. 
15.   Cette frontière aboutissant symboliquement aux îles Luconia (Tsengmu), territoire malaysien. Cf. Hervé COUTAU-BEGARIE, op. cit., p. 235. 
16.   Tumnu NATEROJ. «A Thai’s view on territorial claims in the South China Sea», p. 251-261 in : Fishing in troubled waters, op. cit. 
17.   On se doit citer le nom de Phu Quoc, île limitrophe au Cambodge et au Vietnam, qui est l’objet d’un contentieux vieux de un siècle (débarquement vietnamien sur l’île, en 1975).  
18.   Equivalant à Greenwich 108°3’13’’. 
19.   Des négociations officielles avaient été entamées à la demande de Hanoi, le 26 décembre 1973 et reconduites en août 1974. Elles n’aboutirent qu’à de vaines déclarations d’intention. 
20.   Respectivement en avril et juillet 1994. Pour une analyse de la crise de Wan’an Bei, voir «Storms clouds gather over Spratlys». South China Morning Post, 26 juillet 1994, p.7. 
21.   Allan SHEPHARD avance le chiffre de 200 attaques recensées pour l’année 1991 in : «Maritime tensions in the South China Sea  and the neigborhood : some solutions». Studies in conflict and terrorism, volume 17, 1994, p. 188. Frédéric LASSERRE, op. cit., p. 243,  rapporte que près de 80% des actes de piraterie mondiaux sont survenus en mer de Chine durant l’année 1994. 
22.   James N. ROSENAU. Turbulence in world politics. Princeton : Princeton University Press, 1990.  
23.   «The essence of crisis lies in its unpredictability». Thomas SCHELLING. The strategy of conflict, cité par Glenn H. SNYDER & Paul DIESING. Conflict among nations. Princeton : Princeton University Press, 1977. 
24.   «Any situation in which two or more social entities or parties percieve that they possess mutually incompatible goals». C.R. MITCHELL. The structure of international conflict. Londres : Macmillan, 1981, p. 17. 
25.   Ali ALATAS. «Managing potential conflicts in the South China Sea». Indonesian Quaterly, volume 18, n°2, avril 1990, p. 114. 
26.   Par le seul détroit de Malacca ! 
27.   Sabine SCHERER. «La stratégie expansionniste chinoise en mer de Chine du Sud». Défense Nationale, janvier 1997, p.108. 
28.   Le document officiel de référence est :  William J. PERRY. United States strategy for the East Asia-Pacific. Washington, US Department of Defense, 1996. 
29.   Il ne sera ici fait mention que des hydrocarbures. L’exploitation des phosphates et des sables coralliens est essentiellement concentrée autour du groupe des Paracel. On reporte la présence de quelques unités d’exploitation de guano et de craie sur les îles Paracel et Spratly. L’extraction de minerais et de nodules de manganèse reste cantonnée au stade exploratoire, du fait de la permanence des contentieux territoriaux et de la profondeur des sites repérés. 
30.   Source : Kent A. CALDER, op. cit., p. 45. Données de 1992 sauf pour le Vietnam (1991). 
31.   Oil and gas journal, Tulsa, 15 juillet 1991 et 25 décembre 1995. 
32.   Mamdouh G. SALAMEH. «China, oil and the risk of regional conflict». Survival, n°4, hiver 1995-96, p. 133-146. 
33.   Pour la Chine, importatrice net de pétrole depuis 1994, 1% de croissance supplémentaire équivaut à +1,8% de consommation pétrolière. 
34.   Craig SNYDER. The implications of hydrocarbon development in the South China Sea. Centre for International and Strategic Studies, Université de Toronto, 11 juin 1994, p. 2. 
35.   Dépêche AFP 090451, 9 mars 1995. Et l’expert cité d’ajouter : «Il n’y en aurait [du pétrole] pas plus qu’une goutte dans un seau». 
36.   Bruce BLANCHE, Jean BLANCHE. «Oil and the regional stability in the South China Sea». Jane’s Intelligence Review, novembre 1994, p. 511-514. 
37.   Selig G. HARRISON. China, oil and Asia : conflict ahead ? New York : Columbia University Press, 1977, p. 42-56. 
38.   Du nom d’un capitaine de baleinier du XIXème siècle. 
39.   Philippe PAQUET. «Les Spratleys : nouvelle source de conflit en Asie du Sud-Est». Horizons nouveaux, n°109, février 1993, p. 22, estime la superficie de l’archipel à 800 000 km² ! Michael HINDLEY et James BRIDGE parlent quant à eux de 250 000 km² in : «Disputed islands». Free China Review, août 1994, p. 44. 
40.   Estimation fournie par J.K.T CHAO. «South China Sea : boundary problems relating to the Nansha and Hsisha islands», p. 77 in : Fishing in troubled waters, op. cit. 
41.   Edmond DANTES. «Royal Malaysian Army : upgrading of a coastal force». Asian Defence Journal, juin 1993, p.26. 
42.   «Atlas for Marine policy in Southeast Asia» cité dans  Western Banks of the Spratly Islands, Singapour : Institute for South East Asian Studies (ISEAS), 1997, p. 4. 
43.   En témoignent les mots de l’amiral Richard C. MACKE, qui dirige le US PACOM : «[Freedom of navigation] is an absolute requirement for the many nations using the vital sea lanes». Cité in : «Spratly isles spat worries admiral». Asahi Evening News, 16 juin 1995. 
44.   Sabine SCHERER, op. cit., p. 108-109. Cf. également Virginie RAISSON. «Fantasmes de conflit en mer de Chine méridionale». Le Monde diplomatique, mars 1996, paru in : Géopolitique du chaos  (Manière de voir n°33), p. 56-60. 
45.   Esmond D. SMITH. «The dragon goes to sea». Naval War College Review, volume 44, n°3, été 1991, p. 44. 
46.   Gerald SEGAL. China changes shape : regionalism and foreign policy (Adelphi Paper n°287). Oxford : IISS, 1994, p. 6. 
47.   Stewart M. POWELL. «The China problem ahead». Air Force Magazine, oct. 1995, p. 60. 
48.   C.P. FITZGERALD. «The chinese view of foreign relations». The World today, janvier 1963 cité par Chi-Kin LO. China’s policy toward territorial disputes. Londres : Routledge, 1989, p. 3. 
49.   CHEN Jie. «China’s Spratly policy…». Asian Survey, volume 34, n°10, oct. 1994, p. 893.  
50.   Pour une définition de l’expression Shengcun Kongjian, cf. Serge BESANGER. Le défi Chinois. Paris : Alban, 1996, p. 385 et al. 
51.   John WILSON LEWIS, Xue LITAI. China strategic seapower : the politics of force modernisation in the nuclear age. Stanford : Stanford University Press, 1994 cités par Felix K. CHANG. «Beijing’s reach in the South China Sea». Orbis, été 1996, p. 353-374. 
52.   Ibidem, p. 359. 
53.   En témoigne la crise du golfe de Formose, le 23 mars 1996. 
54.   Taiwan étudie actuellement deux projets de lois relatifs à sa souveraineté maritime : «Loi sur la mer territoriale et la zone contiguë» et «Loi sur la zone économique exclusive et le plateau continental». 
55.   Asian Security 1995-96. Research Institute for Peace and Security, Londres : Brassey’s, 1995, p. 104. 
56.   Se reporter à Frédéric LASSERRE. «De la stratégie diplomatique...», op. cit., p. 112-114. 
57.   Dès 1988, le ministre des Affaires Etrangères de Malaisie avait déclaré : «Si la Chine insistait pour étendre sa souveraineté sur l’ensemble de l’archipel [des Spratly], la République Populaire de Chine remplacerait le Vietnam comme plus grande menace contre la stabilité régionale dans la prochaine décennie». 
58.   Signé le 21 mai 1983. Les Philippines ratifient la Convention de Montego Bay l’année suivante. 
59.   L’article 5 du Traité de 1983 prévoit la tenue de consultations bilatérales en cas d’agression des troupes philippines. Au lendemain de la crise de Mischief reef, Warren Christopher a d’ailleurs rappelé à Pékin que les Etats-Unis étaient liés aux Philippines par le Traité. 
60.   En 1994,  Manille a légitimé ses revendications en permettant à une compagnie américaine, Alcorn, de mener une étude sismique dans le Kalayaan. Plusieurs analystes considèrent que la signature de ce contrat a motivé l’exaction chinoise sur Mischief reef. Cf. Henry J. KENNY. «The South China Sea :  a dangerous ground». Naval War College Review, volume 49, n°3, été 1996, p. 102.  
61.   Allan SHEPHARD, op. cit. p. 194. 
62.   Charles H. STEVENSON. «US foreign policy in Southeast Asia : implications for current regional issues». Contemporary Southeast Asia, volume 14, n°2, sept. 1992, p. 103. 
63.   Mark J. VALENCIA. China and the South China Sea dispute, op. cit., p. 25. 
64.   Et Manille n’a toujours pas obtenu un accord de principe concernant un éventuel arbitrage. 
65.   «America’s dose of sinophobia». The Economist, 29 mars 1997, p. 29-30. 
66.   Les Philippines demeurent le principal allié des Etats-Unis en Asie du Sud-Est. 
67.   Gerald SEGAL, op. cit., p.125. Se reporter également à : «East Asia after the Taiwan crisis». IISS Strategic Comments, volume 2, n°3, 12 avril 1996. 
68.   John VASQUEZ. «The steps to war». World politics, volume 40, n°1, 1987, cité par Nicholas MARSH. The Spratly Island dispute, Internet, 1996, p. 10. 
69.   Pour reprendre la terminologie de J.B. DUROSELLE in : Tout empire périra. Paris : Armand Colin, 1992. 
70.   «Asia/Pacific : arms race». Oxford Analytica Daily Brief, 14 décembre 1995. 
71.   Cf. Amitav ACHARYA. A new regional order in South-East Asia : ASEAN in the post–cold war era (Adelphi Paper n°279). Londres :Brassey’s, 1993. 
72.   Sheldon W. SIMON. «Alternative visions of security in the Asia-Pacific». Pacific Affairs, volume 69, n°3, automne 1996, p. 381-396. 
73.   Stewart M. POWELL. «The China problem ahead», op. cit., p. 62. 
74.   P. STUART ROBINSON. The politics of international crisis escalation : decision making under pressure. Londres : Tauris Academic Studies, 1996, p. 39-42. 
75.   Cf. CHANG : 1996, op. cit. 
76.   Mark J. VALENCIA. «A Spratly solution». Far Eastern Economic Review, 31 mars 1994. 
77.   Michel GODET. «Les prétentions de Pékin». Le Monde, 15 juillet 1997, p.10.

 
Cet article est paru dans l'ouvrage "Les relations internationales en Asie-Pacifique", Paris : Alban, janvier 1998 - ©
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