Gyôkaku : la réforme de l'État au Japon
 
par Guy FAURE,
 
Chargé de recherches au CNRS;  membre de l'Institut d'Asie Orientale de Lyon; coresponsable du DESS "Le Japon dans les échanges internationaux", à la Faculté de sciences économiques et de gestion de l'Université Lyon II, et responsable du Diplôme Universitaire sur le Monde Extrême-Oriental Contemporain (DUMÉOC), à l'IEP de Lyon. Ancien pensionnaire à la Maison Franco-Japonaise de Tokyo (1984-86); Directeur général de la Chambre de Commerce et d'Industrie Française du Japon (1986-92). 
 
 
 
la débureaucratisation du pays / la réorganisation de l'État
 

La réforme de l'État, constitue un leitmotiv au Japon ; le symbole d'histoires sans fin. À l'orée des années 80, la Commission Doko, ancien patron du Keidanren, a produit un imposant rapport sur la question. Le projet s'enlisera faute de volonté de la part du monde politique nippon. Une grande partie de l'opinion publique demeure sceptique sur les chances des "réformes Heisei" d'aboutir un jour. Pourtant aujourd'hui, ces réformes ne peuvent plus être différées sans compromettre gravement l'avenir du pays. Le Japon se trouve confronté à l'impératif d'une révision de son système économique, qui comme presque partout en Asie repose sur d'étroites relations État-entreprises, dénoncées aujourd'hui comme la cause principale de tous les excès financiers de la période précédente. 
 

Gyôkaku ou la débureaucratisation du pays

Le nouveau projet de réforme, publié en 1997, propose une refonte globale de l'État particulièrement ambitieuse. Il y a deux aspects dans cette réforme, qui correspondent aux deux faces d'un même problème. D'abord le fait que  depuis l'après-guerre, l'administration japonaise ait conquis une place centrale dans l'État, dont elle constitue le rouage incontournable dans le processus de décision politique du pays. Ce phénomène bureaucratique nippon est au cúur de la réforme qui vise à réduire son poids dans la société. Par ailleurs, l'État doit rétablir les grands équilibres financiers et mettre fin à un endettement considérable. Le plan de réformes proposé par le gouvernement Hashimoto s'articule sur six domaines : 

    - la réorganisation de l'appareil du gouvernement 
    - le redressement des finances publiques 
    - la déréglementation du système économique 
    - L'assainissement du système financier et le "Big Bang" 
    - la refonte du système de sécurité sociale 
    - la réforme de l'éducation
Il est clair pour tout le monde que la bureaucratie est la première cible des réformes. Dans le sens où on la retrouve présente dans tous les domaines à réformer. Par ailleurs, l'inspiration libérale oriente ces réformes vers moins d'État. Il s'agit donc d'une cure d'amaigrissement pour l'administration au niveau de ses effectifs et de ses prérogatives. L'autre priorité est la réduction des dépenses publiques, ce qui inclut la question de la dette publique qui atteint le montant faramineux de 520.000 milliards de yen. Le gouvernement s'est fixé à l'échéance 2003 pour un déficit budgétaire ne dépassant pas 3%. Pour atteindre cet objectif de sérieuses réductions budgétaires sont prévues. Dès cette année, tous les postes budgétaires seront revus à la baisse sauf celui de la science et la technologie. En outre, les grands programmes à long terme verront également leur financement se réduire . Ainsi, on ne mettra en  chantier aucun grand projet nécessitant de gros budgets. 
La réorganisation de l'État
 

Un grand commis de l'État, Kanezo Muraoka, Secrétaire Général du Bureau du premier ministre, n'a pas hésité à déclarer:«Nous nous sommes attelés au plus grand défi réformateur de la nation depuis la restauration de Meiji (1868)». A cette fin, le plan propose de réduire le nombre de ministères et de secrétariats d'Etat de 21 à 12 avec un Bureau du gouvernement renforcé par rapport à l'actuel Bureau du Premier Ministre. Grâce à cette réorganisation, la fonction de coordination des services du premier ministre est réaffirmée, ce qui constitue l'amélioration majeure de cette opération de chirurgie administrative, avec l'élévation de l'Agence pour l'environnement au statut de ministère, promotion refusée après d'âpres débats à l'Agence de défense. En outre, les regroupements concrétisent la volonté de réduire le nombre de départements ministériels. Pourtant, la partition du Ministère des finances était au centre des débats et constituait le test prouvant la volonté du gouvernement de changer radicalement le visage de l'administration. 

En parallèle avec ces regroupements, le système d'agences en vigueur en Angleterre constitue une option sérieuse pour les autorités. Les ministères et secrétariat d'État garderaient l'élaboration des projets, les agences externes  employant les méthodes du privé se verraient confier leur mise en place. La réorganisation des différentes administrations, la fusion des agences et la diminution du nombre de ministères va entraîner une baisse de l'embauche de fonctionnaires de catégorie A de 30% par an, qui passera ainsi de 800 à 500. 

A la parution du plan, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer le programme du gouvernement de Hashimoto, y compris au sein de son gouvernement. En effet si l'objectif premier de la réforme est de transférer de la bureaucratie le rôle clef de la gestion de l'économie japonaise au secteur privé, le plan proposé renforce l'administration en concentrant cette dernière dans des "super-ministères". On s'interroge sur un plan qui repose sur le concept de la concentration comme voie pour la réforme administrative. En outre, il est fort probable que le nouveau Bureau du gouvernement sera l'enjeu de toutes les rivalités bureaucratiques. Enfin,  on peut s'attendre à de fortes résistances de la part de l'administration et à ses efforts pour torpiller le plan avec l'aide de ses alliés de la Diète, les Zoku Giin, les parlementaires anciens haut-fonctionnaires qui constituent des lobbies influents au Parlement. 

Malgré un bon diagnostic de la situation japonaise, le gouvernement peine sur l'ordonnance. Les réformes se limitent encore trop à des changements  de  structures administratives alors que les fonctions administratives ne sont pas suffisamment repensées. Pour conclure, après le "miracle économique" des années soixante, le Japon semble attendre un "miracle politique" au XXIème siècle!