Japon, puissance techno-scientifique
 
par Guy FAURE,
 
Chargé de recherches au CNRS;  membre de l'Institut d'Asie Orientale de Lyon; coresponsable du DESS "Le Japon dans les échanges internationaux", à la Faculté de sciences économiques et de gestion de l'Université Lyon II, et responsable du Diplôme Universitaire sur le Monde Extrême-Oriental Contemporain (DUMÉOC), à l'IEP de Lyon. Ancien pensionnaire à la Maison Franco-Japonaise de Tokyo (1984-86); Directeur général de la Chambre de Commerce et d'Industrie Française du Japon (1986-92). 
 
 
Prééminence de la politique scientifique / Les points faibles du système national / objectifs visés
 
Le Japon se trouve à un point critique de son histoire, car son développement économique, social, voire même politique va dépendre de plus en plus de ses progrès en science et technologie. En effet, la science et la technologie sont en passe de devenir une priorité nationale dans ce pays et devraient prendre le pas sur l'économique. Plus concrètement, la politique scientifique induira dorénavant la politique industrielle. Cela constitue un renversement capital d'une tendance lourde de l'après-guerre, où tous les potentiels étaient mis au service de l'impératif économique. 

Le décollage des pays asiatiques et la concurrence des NPI, malgré la crise actuelle, contraint l'économie japonaise à se positionner sur des activités plus sophistiquées pour maintenir une distance de sécurité technologique. Dans un même temps, les entreprises ont adopté une stratégie de course à l'innovation, avec des produits intégrant toujours plus de valeur ajoutée pour les productions au Japon. Cependant leurs efforts de recherche et développement dépendent des avancées de la recherche fondamentale, domaine où les Japonais accusent un certain retard vis à vis de la science américaine et européenne. La dépendance de cette ressource stratégique que constitue le savoir scientifique a été dans le passé un sérieux avantage pour l'industrie nippone. 

Par ailleurs, les Japonais aspirent à jouir d'une meilleure qualité de vie ainsi qu'à une meilleure intégration de leur pays dans la société internationale. Ils estiment que la science et la technologie devront être mises au service des besoins sociaux, en se rapprochant de la demande sociale. 

En outre, au niveau des relations de coopération et de rivalité nippo-américaines, en une décennie, les enjeux se sont déplacés des endémiques conflits commerciaux vers d'autres concernant la science et la technologie. Les entreprises japonaises ont ouvert en Amérique du Nord plus de deux cent cinquante laboratoires et elles financent des chercheurs et des chaires professorales dans les meilleures universités d'outre-atlantique. 

Dans ce contexte, les Japonais s'attellent à une refondation de leur système de recherche afin de rattraper leur retard en science fondamentale. 

Bien que le Japon consacre plus de 3% de son PNB à la recherche, ce qui constitue un record mondial, et place ce pays à la seconde place en valeur absolue (350 Mds de F en 1996) derrière les États Unis, les Japonais portent un regard sans complaisance sur l'état de leur appareil scientifique. 

Un état des lieux récent réalisé par l'Agence pour la Science et la Technologie du Japon liste les points faibles du système national

    - un environnement matériel vétuste; 
    - des personnels techniques en nombre très insuffisant; 
    - des équipements techniques souvent détériorés ou obsolètes; 
    - des moyens financiers faibles par rapport à ceux des Etats Unis. 
    - un système éducatif défavorisant la créativité, 
    - des ressources humaines insuffisantes.
Ce bilan sévère a permis aux autorités japonaises d'élaborer un programme novateur surtout en termes budgétaires pour rénover le paysage scientifique du pays. 

Ainsi les dépenses gouvernementales seront portées de 24,3 Mds $ en 1996 (138,5 Mds F, 0,6% du PNB) à 38,9Mds $ en l'an 2.000 (221 Mds F, soit 1,6% du PNB). Le Plan quinquennal de base pour la Science et la Technologie, paru en juillet 1996, nous apporte plus de précision sur les objectifs visés que l'on peut résumer par plus de flexibilité, de compétitivité, et d'ouverture. 

Parmi les objectifs, on trouve tout d'abord le rééquilibrage des efforts entre l'Etat et les entreprises. En effet, le secteur privé a au Japon une part prédominante (80%) dans le financement de la R&D. L'État envisage de doubler son effort, ce qui le ferait passer de 20 à 40% du financement total; niveau, qui rapprocherait l'archipel de l'Union Européenne et des États-Unis. Les entreprises japonaises y consacrent en moyenne 2,9% de leur chiffre d'affaires. En électronique, cette part monte de 7 à 10%, et grimpe même jusqu'à 15% en pharmacie, voire 20% en micro mécanique. Les grandes firmes japonaises sont dotées de budgets impressionnants: En tête arrive Hitachi avec 17,6 Mds F, suivi de Matsushita (17,3 MdsF), Toyota (14 Mds F), NEC (13,3 Mds F) et Toshiba (12,7 Mds F). 

Concrètement, les mesures proposées s'articulent sur quatre axes : 

    1) L'amélioration du parc immobilier et des équipements. 

    2) La mobilité des personnels constitue le second point fort du plan, entre privé et public, ou entre les régions, ainsi qu'au niveau international surtout pour les projets en "mégascience". 

    3) L'évaluation, une nouveauté au Japon, devient une préoccupation majeure dans ce pays. 

    4) Un nouveau consensus national sur la science et la technologie pour promouvoir le concept de "nation basée sur la créativité scientifique et technologique" semble être un préalable impératif pour mobiliser le pays sur cet enjeu.

Actuellement, on assiste au Japon à un double processus qui nous rappelle la période de montée en puissance de l'économie japonaise dans les années soixante. D'une part une intensive mobilisation populaire vers un objectif partagé, hier le "consensus industriel", aujourd'hui le "consensus scientifique et technologique", couplée d'autre part, à des 
investissements considérables en matières d'infrastructures et d'équipements, auxquels on doit également ajouter la volonté de rénover le système éducatif et la formation des chercheurs

Cependant, la capacité à attirer les meilleurs cerveaux étrangers dans ses laboratoires manque au Japon. C'est pourtant une clef essentielle dans cette course à l'excellence scientifique qui continue à maintenir la prédominance scientifique américaine. 

En dernière analyse, la question de la science et de la technologie apparaît primordiale au Japon, et renvoie l'économique en arrière plan de la scène politique. 

(Ndlr : l'accentuation placée en caractères gras sur certains corps de phrase est due à SdA).