Le Japon se trouve à un point critique de son histoire, car
son développement économique, social, voire même politique
va dépendre de plus en plus de ses progrès en science et
technologie. En effet, la science et la technologie sont en passe de devenir
une priorité nationale dans ce pays et devraient prendre le pas
sur l'économique. Plus concrètement, la politique
scientifique induira dorénavant la politique industrielle.
Cela constitue un renversement capital d'une tendance lourde de l'après-guerre,
où tous les potentiels étaient mis au service de l'impératif
économique.
Le décollage des pays asiatiques et la concurrence des NPI, malgré
la crise actuelle, contraint l'économie japonaise à se positionner
sur des activités plus sophistiquées pour maintenir une distance
de sécurité technologique. Dans un même temps, les
entreprises ont adopté une stratégie de course à l'innovation,
avec des produits intégrant toujours plus de valeur ajoutée
pour les productions au Japon. Cependant leurs efforts de recherche et
développement dépendent des avancées de la recherche
fondamentale, domaine où les Japonais accusent un certain retard
vis à vis de la science américaine et européenne.
La dépendance de cette ressource stratégique que constitue
le savoir scientifique a été dans le passé un sérieux
avantage pour l'industrie nippone.
Par ailleurs, les Japonais aspirent à jouir d'une meilleure
qualité de vie ainsi qu'à une meilleure intégration
de leur pays dans la société internationale. Ils estiment
que la science et la technologie devront être mises au service des
besoins sociaux, en se rapprochant de la demande sociale.
En outre, au niveau des relations de coopération et de rivalité
nippo-américaines, en une décennie, les enjeux se sont déplacés
des endémiques conflits commerciaux vers d'autres concernant la
science et la technologie. Les entreprises japonaises ont ouvert en Amérique
du Nord plus de deux cent cinquante laboratoires et elles financent des
chercheurs et des chaires professorales dans les meilleures universités
d'outre-atlantique.
Dans ce contexte, les Japonais s'attellent à une refondation
de leur système de recherche afin de rattraper leur retard en science
fondamentale.
Bien que le Japon consacre plus de 3% de son PNB à la recherche,
ce qui constitue un record mondial, et place ce pays à la seconde
place en valeur absolue (350 Mds de F en 1996) derrière les États
Unis, les Japonais portent un regard sans complaisance sur l'état
de leur appareil scientifique.
Un état des lieux récent réalisé par l'Agence
pour la Science et la Technologie du Japon liste les
points faibles du système national :
- un environnement matériel vétuste;
- des personnels techniques en nombre très insuffisant;
- des équipements techniques souvent détériorés
ou obsolètes;
- des moyens financiers faibles par rapport à ceux des Etats
Unis.
- un système éducatif défavorisant la créativité,
- des ressources humaines insuffisantes.
Ce bilan sévère a permis aux autorités japonaises
d'élaborer un programme novateur surtout en termes budgétaires
pour rénover le paysage scientifique du pays.
Ainsi les dépenses gouvernementales seront portées de
24,3 Mds $ en 1996 (138,5 Mds F, 0,6% du PNB) à 38,9Mds $ en l'an
2.000 (221 Mds F, soit 1,6% du PNB). Le Plan quinquennal de base pour la
Science et la Technologie, paru en juillet 1996, nous apporte plus de précision
sur les objectifs visés
que l'on peut résumer par plus de flexibilité, de
compétitivité, et d'ouverture.
Parmi les objectifs, on trouve tout d'abord le rééquilibrage
des efforts entre l'Etat et les entreprises. En effet, le secteur privé
a au Japon une part prédominante (80%) dans le financement de la
R&D. L'État envisage de doubler son effort, ce qui le ferait
passer de 20 à 40% du financement total; niveau, qui rapprocherait
l'archipel de l'Union Européenne et des États-Unis. Les entreprises
japonaises y consacrent en moyenne 2,9% de leur chiffre d'affaires. En
électronique, cette part monte de 7 à 10%, et grimpe même
jusqu'à 15% en pharmacie, voire 20% en micro mécanique. Les
grandes firmes japonaises sont dotées de budgets impressionnants:
En tête arrive Hitachi avec 17,6 Mds F, suivi de Matsushita (17,3
MdsF), Toyota (14 Mds F), NEC (13,3 Mds F) et Toshiba (12,7 Mds F).
Concrètement, les mesures proposées s'articulent sur quatre
axes :
1) L'amélioration du parc immobilier et des équipements.
2) La mobilité des personnels constitue le second point fort
du plan, entre privé et public, ou entre les régions, ainsi
qu'au niveau international surtout pour les projets en "mégascience".
3) L'évaluation, une nouveauté au Japon, devient une préoccupation
majeure dans ce pays.
4) Un nouveau consensus national sur la science et la technologie pour
promouvoir le concept de "nation basée sur la créativité
scientifique et technologique" semble être un préalable impératif
pour mobiliser le pays sur cet enjeu.
Actuellement, on assiste au Japon à un double processus qui nous
rappelle la période de montée en puissance de l'économie
japonaise dans les années soixante. D'une part une intensive
mobilisation populaire vers un objectif partagé, hier le "consensus
industriel", aujourd'hui le "consensus scientifique et technologique",
couplée d'autre part, à des
investissements considérables en matières d'infrastructures
et d'équipements, auxquels on doit également ajouter
la volonté de rénover le système éducatif
et la formation des chercheurs.
Cependant, la capacité à attirer les meilleurs cerveaux
étrangers dans ses laboratoires manque au Japon. C'est pourtant
une clef essentielle dans cette course à l'excellence scientifique
qui continue à maintenir la prédominance scientifique américaine.
En dernière analyse, la question de la science et de la technologie
apparaît primordiale au Japon, et renvoie l'économique en
arrière plan de la scène politique.
(Ndlr : l'accentuation placée en caractères gras sur
certains corps de phrase est due à SdA).
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