Le 4 février 1999 le quotidien
chinois " Xinjiang métropole " annonçait l’exécution
d’un membre de l’ethnie ouighoure condamné pour séparatisme
et dont la peine (prononcée par la Cour intermédiaire d’Urumqi)
avait été confirmée par la Haute Cour du Xinjiang
ainsi que par la cour suprême de Chine. Le 25 janvier, c’est le tribunal
de Korgas qui avait condamné à mort deux enseignants ouighours
pour fabrication d’explosif.
Ce type de jugement s’est accru depuis
quelques années en réponse aux attentats qui appuient les
revendications identitaires de la population ouighoure. Ainsi, le 8 janvier
1999 le tribunal de Yining (Xinjiang) a condamné 29 indépendantistes
accusés d’avoir participé aux émeutes anti-chinoises
de février 1997 responsables d’une centaine de mort. D’après
le Front uni-national révolutionnaire du Turkestan oriental (autre
nom du Xinjiang) dans la seule année 1997, 57.000 Ouighours auraient
été arrêtés.
Représentants de l’une des 55 nationalités
minoritaires (minzu) que la République Populaire de Chine (RPC)
reconnaît, les Ouighours ont construit leur identité principalement
sur l’appartenance aux mondes musulman et turcophone. Aussi, la population
a tendance à regarder vers l’ouest plus que vers l’est, en direction
des républiques musulmanes de l’ex-URSS.
Un
peuple musulman et turcophone
Peuple turc, les Ouighours (appelés
Yuechis) après avoir fait partie de l’empire des Turcs orientaux,
instaurent leur hégémonie sur la Mongolie et la Haute Asie
en 744. Leur centre se trouve dans la vallée du Haut Orkhon près
de Karakorum. Alliés de la dynastie chinoise des Tang, ils sauvent
celle-ci d’une révolte en 762 en reprenant la capitale Lo-Yang aux
rebelles. C’est lors de ces excursions en Chine que les Ouighours entrent
en contact avec le manichéisme que le khagan ( roi ) Alp Koutlough
adopte comme religion d’État. Mais l’empire ouighour s’effondre
en 840 avec l’irruption des kirghizes (peuple turco-mongol) venus de Sibérie.
Réfugiés en Chine, ils fondent deux royaumes, l’un dans le
Gansu, l’autre dans le Turkestan oriental (Xinjiang) où les influences
bouddhiques et nestoriennes se font sentir. C’est à cette époque
que l’islamisation a lieu, très vite pour le royaume du Gansu, plus
lentement au Turkestan oriental où le bouddhisme ne s’éteint
définitivement qu’au XVe siècle.
Au XIIIe siècle, le royaume est
absorbé par les Mongols puis au XVe siècle par les Kalmouks
et ce n’est qu’en 1759 que la dynastie mandchoue intègre le Turkestan
oriental dans son espace territorial.
Cependant, jusqu’en 1949 et l’arrivée
au pouvoir des communistes, les Chinois n’exercent qu’une souveraineté
très lâche sur la région, si bien que les Ouighours
jouissent d’une quasi-autonomie. Cette situation, toutefois, n’empêche
pas la population de se révolter contre les représentants
du pouvoir impérial. La plus importante insurrection contre les
Chinois est certainement celle menée par Muhammad Yakoub beg entre
1864 et 1877. Cette agitation est soutenue par les Anglais et les Russes
qui y voient un moyen d’affaiblir l’influence chinoise dans la région.
Les Russes présents depuis 1830 par l’intermédiaire d’agents
implantés dans la population profitent de la révolte en prenant
possession d’une partie de la vallée de l’Illi (région de
Kouldja). Le traité de Saint Petersbourg ratifié en 1881,
officialise l’avancée russe au Turkestan oriental. Confrontée
à cette menace, la Chine transforme, en 1884, le Turkestan oriental
en province du Xinjiang (ce qui signifie “nouvelle frontière“) et
amplifie sa présence dans la région.
La chute de la dynastie Qing et l’instauration
de la République en 1911 par Sun Zhong Shan (Sun Yat-sen) entraîne
l’indépendance de facto du Xinjiang qui culmine avec le mouvement
de la Vallée de l’Illi et l’éphémère République
du Turkestan oriental, entre 1945 et 1949, date à laquelle le nouveau
pouvoir communiste restaure l’autorité de la Chine au Xinjiang.
La
politique chinoise au Xinjiang depuis 1949
La politique de la RPC dès 1949
va être tournée vers " la reconstitution du domaine impérial
" (1), cela implique donc la consolidation des frontières.
Au Xinjiang, il s’agit de contenir les velléités d’expansion
soviétiques, ce qui est facilité (du moins jusqu’en 1956)
par la nouvelle couleur du régime chinois. Ainsi, les accords sino-soviétiques
de 1950 créant deux sociétés mixtes pour l’exploitation
du pétrole et du gaz de la région impliquent la reconnaissance
de facto par l’URSS de la souveraineté chinoise sur la totalité
du Xinjiang. Par contre, les différents accords ne fixent pas, juridiquement,
la frontière avec les républiques musulmanes (Tadjikistan,
Kazakhstan et Kirghizistan).
Mais les rapports sino-soviétiques
vont se tendre dès 1956 pour se rompre en 1962. En septembre, la
Chine exige la fermeture des consulats soviétiques de Kouldja et
Urumqi. Dès lors, les rivalités ancestrales opposants Russes
et Chinois en Asie centrale resurgissent et plusieurs accrochages ont lieu
sur les frontières communes des deux pays. Pour la Chine l’occasion
est parfaite pour remettre sur la table la question des " traités
inégaux " et des frontières avec les républiques musulmanes
d’Union Soviétique. En fait la bonne entente sino-soviétique
n’aura été qu’une parenthèse dans les relations des
deux voisins. Celles-ci resteront tendues jusqu’à l’éclatement
de l’URSS en 1990. Depuis, les Russes ne représentent plus un danger,
par contre le problème frontalier persiste.
La deuxième difficulté au
Xinjiang, pour les Chinois, réside dans le séparatisme latent
des Ouighours.
Ayant restauré leur autorité
sur la région, les communistes décident d’affermir leur pouvoir
pour éradiquer les volontés d’indépendance. Mais comme
dans bien d’autres domaines la politique chinoise sera très fluctuante,
évoluant au gré des luttes de pouvoir au sein du Parti Communiste
Chinois (PCC).
Dans un premier temps, les élites
musulmanes à l’instar de Seïf al Din qui occupa les fonctions
de Président du gouvernement populaire local et de Secrétaire
du Comité du Parti sont associées au régime. Cependant,
les efforts du gouvernement ne suffisent pas à enrayer le nationalisme
ouighour. Plusieurs mouvements de revendication voient donc le jour, notamment
pendant la campagne des Cents Fleurs.
Les communistes décident donc de
changer de politique et de nombreux dirigeants musulmans sont écartés.
Ensuite, pour éviter les échanges transfrontaliers (jugés
subversifs ) entre les Ouighours du Xinjiang et ceux vivant dans les républiques
musulmanes d’URSS, les Chinois remplacent l’alphabet en caractère
arabe, utilisé par les Ouighours, par un alphabet en caractère
latin. Les relations entre les populations ouighoures des deux côtés
de la frontière s’en trouvent réduites sans jamais s’éteindre
tout de même.
La période la plus dure est
certainement celle de la Révolution culturelle, qui a pour but au
Xinjiang de détruire l’islam. Les mœurs et croyances des musulmans
ne sont plus respectées, les mosquées détruites et
les Chinois entreprennent une politique de sinisation forcée. De
nombreux Chinois Han (ethnie majoritaire, 90% de la population) sont incités
à s’installer au Xinjiang. Cette politique est d’ailleurs efficace
puisque les Han qui n’étaient que 10% en 1950, sont aujourd’hui
plus de 40%. Le gouvernement espère donc noyer les Ouighours dans
la masse pour ôter tout poids à leurs revendications.
Toutefois, le régime s’est assoupli
à partir de 1978 avec l’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir.
L’islam comme les autres religions a retrouvé droit de cité.
Mais cette nouvelle politique n’a pas affaibli le mouvement indépendantiste
ouighour. L’agitation ouighoure s’est accentuée, portée par
les résultats des mouvements nationalistes en URSS. En effet, en
1991 les républiques musulmanes obtiennent leur indépendance.
Cette évolution à l’ouest, encourage les Ouighours dans leur
quête de liberté. Aussi aujourd’hui, si les Soviétiques
ne représentent plus un danger, le problème ouighour persiste
et a totalement changé de physionomie.
La
nouvelle donne géopolitique en Asie centrale
En décembre 1991, les trois républiques
musulmanes d’URSS possédant une frontière commune avec la
Chine accèdent à l’indépendance. Désormais
le problème ouighour va prendre une nouvelle tournure. En 1991 les
revendications ouighoures prennent une dimension internationale avec notamment
l’accroissement du rôle de la diaspora. Les Soviétiques utilisaient
déjà le mouvement ouighour dans son conflit avec la Chine.
En effet, les associations ouighoures, très nombreuses au Kazakhstan
étaient infiltrées par le KGB. Celui-ci était chargé
de faciliter l’introduction des journaux ouighours au Xinjiang dans le
but d’agiter la population.
Lors de la chute de l’empire soviétique
de nombreux groupes en faveur de l’autonomie du Xinjiang ont essaimé
dans les trois républiques mais surtout au Kazakhstan où
la représentation ouighoure est la plus forte. Ainsi, de nombreux
Ouighours des deux cotés de la frontière ont espéré
que les agitations en URSS atteindraient le Xinjiang et qu’ils pourraient
enfin se réunir dans une “République du Ouighouristan“. Mais
les évènements ne se sont pas déroulés comme
ils le souhaitaient. En effet, non seulement la Chine n’a pas été
ébranlée par la chute de l’URSS mais la situation des Ouighours
au Kazakhstan s’est dégradée. Pendant les premières
années d’indépendance du Kazakhstan, les Ouighours jouissaient
d’une situation très favorable, leur permettant d’exprimer leur
identité : plusieurs journaux, émissions de radio et de télévision,
théâtre, maisons d’édition…
Mais dans le milieu des années
90 le gouvernement kazakh a changé d’attitude vis à vis des
minorités, notamment les Ouighours. Aussi, le théâtre
a été fermé, les émissions télévisées
en langue ouighoure ont été supprimées et il ne subsiste
plus qu’un seul journal hebdomadaire ! Cette politique concerne aussi les
centres de recherche puisque l’Institut Ouighour a été fondu
dans le Centre d’études orientales.
Cette nouvelle politique kazakhe trouve
son origine dans deux facteurs. Tout d’abord, la situation particulière
du Kazakhstan parmi les républiques musulmanes de l’ex-URSS. Le
problème réside dans la faiblesse numérique de l’ethnie
kazakhe (42% contre 37% de russes, première minorité), l’étendue
du pays et l’importance des Russes qui font craindre une guerre civile
ou une sécession d’une partie du pays. Cette spécificité
explique la politique de “kazakhisation“ entreprise par le président
Nazarbaïev. L’exemple type est la loi de novembre 1996 imposant l’utilisation
du kazakh dans les établissements publics dès 2001. Ensuite,
si la politique de kazakhisation est particulièrement virulente
à l’égard des Ouighours, c’est que la Chine fait pression
sur le gouvernement kazakh. Car en 1995 un accord de coopération
a été signé entre la Chine et le Kazakhstan. Celui-ci
comportait une clause dans laquelle les Kazakhs s’engageaient à
lutter contre les séparatismes (il ne fait aucun doute qu’il s’agit
du séparatisme ouighour ! ) . C’est à la suite de cet accord
que la répression du " séparatisme " s’est accéléré.
La Chine a donc mis en place une politique
très efficace de lutte contre les velléités d’indépendance
ouighoures. Celle-ci peut s’observer aussi dans les relations de la Chine
avec le régime taliban en Afghanistan.
Les
relations de la Chine avec le régime taliban
Depuis quelques années, les étudiants
en théologie afghans ont développé l’exportation de
deux produits vers la Chine et surtout le Xinjiang : le fondamentalisme
religieux et l’héroïne.
En effet, de nombreux Ouighours sont venus
étudier dans les madrasas (écoles coraniques) afghanes et
en sont partis avec la ferme intention d’accentuer la lutte contre le pouvoir
chinois, cela explique en partie l’accroissement des attentats au Xinjiang.
Quant à l’héroïne, l’Afghanistan en est le premier producteur
mondial et la Chine est un marché potentiel immense ( les talibans
aussi apprécient la mondialisation !).
Pour lutter contre ces deux fléaux,
la Chine a décidé par l’intermédiaire de son allié
pakistanais (qui soutient le régime taliban) de négocier
avec les " étudiants ". L’accord conclu prévoit une possible
reconnaissance (2) du régime taliban par la
Chine et du coté afghan une réduction de l’exportation des
" produits made in taliban " vers le Xinjiang.
Perte de la domination ethnique dans leur
propre région, audience internationale quasi-nulle, marge de manœuvre
restreinte, capacités d’expression de l’identité faible quelles
conclusions tirées de ce bilan si ce n’est que l’indépendance
est un " luxe " dont les Ouighours ne peuvent que rêver ! !
!
|